Ici aux Etats Unis, il n'y a pas de différence entre l'homme et le destin économique. Tout homme n'est que ce que représente son patrimoine, ses revenus , sa situation, ses perspectives. Dans la conscience des hommes, le masque économique coincide parfaitement avec le fond du caractère de l'individu qu'il dissimule. Chacun vaut ce qu'il gagne, chacun gagne ce qu'il vaut. Il apprendra ce qu'il est à travers les vicissitudes de son existence économique. Il ne se connait pas autrement. Si la critique matétrialiste de la société objecta un jour à l'idéalisme que la conscience ne déterminait pas l'être, mais que l'être déterminait la conscience, que la vérité concernant la société ne se trouvait pas dans les conceptions idéalistes quelle avait elle même, mais dans son économie, les contemporains ont rejeté un tel idéalisme. Ils s'évaluent eux-mêmes d'aprés leur valeur marchande et apprennent ce qu'ils sont à partir de ce qui leur arrive dans la société capitaliste. Ils reconnaissent que leur destin, aussi triste soit il, ne leur est pas extérieur. Le Chinois, prenant congé,



"Dit d'une voix chargée de tristesse; Vois tu, ami,



La fortune ne m'a guère souri dans ce monde.



Où irai-je désormais ? Vers les montagnes,



Chercher la paix pour mon coeur solitaire."



I am a failure, dit l'Américain. - And that is that.



Théodor Adorno, Max Horkheimer in La dialectique de la raison, Notes et esquisses, Deux mondes (1944), Gallimard, 1974.