D'âge en âge la fraternité, qu'elle revête la forme de la charité ou la forme de la solidarité ; qu'elle s'exerce envers l'hôte au nom de Zeus hospitalier, qu'elle accueille le misérable comme une figure de Jésus-Christ, ou qu'elle fasse établir pour des ouvriers un minimum de salaire ; qu'elle investisse le citoyen du monde, que par le baptême elle introduise à la communion universelle, ou que par le relèvement économique elle introduise dans la cité internationale, cette fraternité est un sentiment vivace, impérissable, humain ; c'est un vieux sentiment, qui se maintient de forme en forme à travers les transformations, qui se lègue et se transmet de générations en générations, de culture en culture, qui de longtemps antérieur aux civilisations antiques s'est maintenu dans la civilisation chrétienne et sans doute s'épanouira dans la civilisation moderne ; c'est un des meilleurs parmi les bons sentiments ; c'est un sentiment à la fois profondément conservateur et profondément révolutionnaire ; c'est un sentiment simple ; c'est un des principaux parmi les sentiments qui ont fait l'humanité, qui l'ont maintenue, qui sans doute l'affranchiront ; c'est un grand sentiment, de grande fonction, de grande histoire, et de grand avenir ; c'est un grand et noble sentiment, vieux comme le monde, qui a fait le monde.

Charles Péguy, De Jean Coste, 1902.