Le bourgeois, quand tout va bien, aime les libertés, sagement mesurées. Ses intérêts s'en accommodent dans un régime dont il tient les principales commandes. Ce serait une erreur de lui attribuer un goût spontané des dictatures, comme en a le peuple inorganisé. Elles menacent son pouvoir autant que le roi jadis menaçait les féodalités. Quant aux militaires, n'était sur ses filles le prestige du costume, il les trouve bien turbulents et inconfortables. Mais il hait le peuple. Pourquoi? Peut-être parce qu'il voit dans son ignorance, dans sa misère, dans sa brutalité, sa propre condamnation. Parce qu'il sent chaque jour la menace de son ressentiment: il le hait de la sale haine de la peur. Il n'en a pas toujours conscience, mais il se trahit dès que les choses se gâtent.



Emmanuel Mounier, Anarchie et personnalisme, 1937.