Le christianisme fait mieux encore que rendre les choses atteignables à l'homme, il leur donne une vie personnelle, il leur prête une voix. Il introduit entre l'homme et les choses une relation étroite, vivante, qui était familière aux hommes du Moyen Age, et sentie par eux dans toute sa force et qui n'est plus perçue aujourd'hui. La relation des hommes du Moyen Age avec les choses était la vraie, l'essentielle relation voulue de Dieu. Ils communiquaient avec elles selon le double rapport de domination et de subordinnation qui caractérise fondamentalement l'attitude de l'homme à l'égard de la nature, l'homme étant tout ensemble, selon la parole de l'Apotre, "seigneur et maitre" et "esclave et serviteur de toute créature". L'homme est maitre de la créature parce qu'elle lui sert à exprimer le mystère des mystères:la vie de l'âme chrètienne. Il est en même temps le serviteur parce qu'il lui est interdit d'agir souverainement, parce qu'il doit respecter la destination donnée par Dieu à la créature. Celle-ci possède une autonomie, presque une personnalité qu'il lui est déféndu de violer. L'usage que l'homme est autorisé à faire des choses, véhicule naturel de la révélation de l'âme chrétienne, lui donne sur elles la domination; il ne lui confère pas la souveraineté, une autocratie qui ne tiendrait pas compte de leur essence particulière. Aucun orgueil n'est permis à l'homme vis-à-vis des choses. Un lien de parenté l'unit à elles. Ne portent-elles pas comme lui sur leur visage la similitude de Dieu? Ne proclament-elles pas le même Dieu que lui?



Robert d'Harcourt. Introduction à l'esprit de la liturgie (Romano Guardini), le roseau D'or, Plon, 1929.