La Bible et la création sont les deux livres que Dieu a mis sous nos yeux et entre nos mains : Paul Claudel a su lire et lier les deux de manière exemplaire.

On sait rarement que Paul Claudel s'est nourri des décennies durant de la lecture de la Bible, et qu'il a rempli de nombreux cahiers d'exégèse personnelle de réflexions inspirées et de commentaires éclairés. 1 Il s'est enfoncé dans les Écritures comme dans une forêt dense, et sa vision biblique nourrit et illumine sa production lyrique et dramatique. Dans ses commentaires comme dans ses conversations, la lecture du livre de l'Écriture s'accompagne de celle du livre de la nature : les deux sources traditionnelles de la révélation. En tant que laïc, il invite d'ailleurs à se promener dans les deux pour y cueillir des fruits savoureux de sagesse et d'intelligence : « Après tout l'Ecriture n'est pas la propriété des spécialistes, c'est un jardin public où tous les chrétiens ont le droit de se promener. » C'est dans cette compréhension biblique du monde que se fonde ce qu'on pourrait appeler l' « écologie claudélienne ». 2

Claudel porte en effet des jugements aigus sur le temps présent et les dégâts que la société industrielle inflige à l'environnement, au mépris de la fonction vicariale que la Bible assigne à l'homme dans la nature : il se demande si

« notre civilisation industrielle n'est pas en train de dévorer toute la création avec ses dents de fer ? Les animaux, les plantes, les forêts qu'elle transforme en papier, l'air dont elle fait de l'engrais, la terre de tous côtés qu'elle exploite et dont elle arrache les entrailles minérales. Et partout autour de nous que de détritus, que de décombres, que d'ossements, que de matériaux sucés que nous foulons sous nos pieds ! Toute la nature souillée et abîmée avec nos affiches, nos usines et nos pompes à essence ! »

Il s'inquiète des conséquences du dépérissement intérieur provoqué par un matérialisme athée qui assujettit la puissance créatrice à la jouissance possessive et transforme l'homme en simple rouage d'une machine économique où s'engloutit toute liberté. Selon lui, la machine en son usage moderne est une des figures de l'Antéchrist :

« Les Grecs et les Romains se contentaient de simulacres de bois, de bronze et de pierre. Nos simulacres peuvent voir, entendre, parler, se mouvoir, déterminer avec une justesse impeccable des séries d'action immenses et compliquées… Une machine a quelques-uns des attributs de la divinité, le pouvoir illimité, l'exécution parfaite et irrésistible, la connaissance infaillible, un enchaînement de causes et d'effets en elle aussi impersonnel et aussi catégorique que le Destin. »

Le machinisme chosifie toute chose, et l'homme et la nature, à commencer par les animaux :

« Maintenant une vache est un laboratoire vivant qu'on nourrit par un bout et qu'on trait, à l'électricité, par l'autre. Le cochon est un produit sélectionné qui fournit une qualité de lard conforme au standard. La poule errante et aventureuse est incarcérée et gavée scientifiquement. Sa ponte est devenue mathématique. Chaque espèce est élevée à part et en série. Sont-ce encore des animaux, des créatures de Dieu, des frères et des sœurs de l'homme, des significations de la Sagesse divine que l'on doit traiter avec respect ? Qu'a-t-on fait de ces pauvres serviteurs ? L'homme les a cruellement licenciés. Il n'y a plus de liens entre eux et nous. Et ceux qu'il a gardés, il leur a enlevé l'âme. Ce sont des machines, il a abaissé la brute au-dessous d'elle-même. Et voilà la Cinquième Plaie : Tous les animaux sont morts, il n'y en a plus avec l'homme. »

Au contraire de cette mise à mort spirituelle - et temporelle - de la création, nous avons à écouter

« ce qu'elle a à nous dire de Dieu, et, pour cela, à la lire par le dedans (intelligere), à la regarder sans préjugés, avec attention, patience et sympathie, non pas dans l'attitude d'un juge, ni dans celle d'un caporal, mais dans celle d'un frère selon que saint François s'adressait à Frère le Feu et à Frère le Loup »

Pour enfin dessiller notre regard sur la nature comme sur l'Écriture, il est temps de se plonger dans la lecture des commentaires bibliques et des « conversations écologiques » de Paul Claudel.

SOURCE : http://ecologiechretienne.free.fr