L’État démocratique de l’époque contemporaine représente une variété tout à fait nouvelle d’inhumanité qui ne le cède en rien aux régimes autocratiques des époques précédentes. Le principe « diviser pour régner » n’a certes pas été abandonné mais l’angoisse résultant de la faim, l’angoisse résultant de la soif, l’angoisse résultant de l’inquisition sociale a, au moins en principe, dû céder la place, en tant que moyen de souveraineté dans le cadre de l’Etat Providence, à l’angoisse résultant de l’incertitude et à l’incapacité dans laquelle se trouve l’individu de disposer de l’essentiel de son destin. Enfoncé dans le bloc de l’État, l’individu est sans cesse en proie à un sentiment lancinant d’incertitude et d’impuissance qui doit rappeler la situation de la coque de noix dans le Maelström ou celle d’un wagon de chemin de fer, attaché à une locomotive en folie, qui serait doué de pensée mais n’aurait pas la possibilité de comprendre les signaux ni de s’y reconnaître dans les aiguillages.

Stig Dagerman. L’anarchie et moi (1946). La dictature du chagrin, Agone 2001.