La révolution vise à la délivrance de l’homme de chair et d’esprit, c'est-à-dire que les révolutionnaires doivent penser beaucoup plus « prés » que l’économiste ou le politicien : à la vie que nous menons et à nos prochains. Tout l’effort de notre pensée doit aboutir à retrouver cette simplicité. Or les systèmes ont en général fait abstraction aussi bien de la question du sens de nos actes que de notre besoin de manger ; Le révolutionnaire doit sans cesse se poser la question : « Est ce que mon sort sera changé et l’exercice de ma pensée et le milieu qui m’entoure ? » Le révolutionnaire doit fuir l’abstraction des masses, il doit regarder au niveau de chaque personne qui les compose ; à chaque instant il doit voir aboutir les principes aux plus humbles des réalités immédiates. L’idéalisme est stupide en affaire, il est criminel chez ceux qui veulent changer le sort de l’homme. Ce qui importe c’est cette vie quotidienne, façon de penser, façon de vivre, si dure à transformer ; c’est le vrai front de la bataille révolutionnaire, bien plus que sur les barricades. A la lutte pour le pouvoir s’oppose donc la lutte pour la transformation du sort de l’homme : le révolutionnaire ne lutte pas contre des hommes mais contre des faits et l’acte le plus révolutionnaire n’est pas d’abattre le chef de l’état ou de remporter une victoire aux élections, c’est de transformer la vie personnelle en créant des institutions. Nous devons rejeter le nom d’utopistes s’il signifie que nous méconnaissons les faits, le revendiquer dans la mesure où il signifie que nous surmontons l’état de fait.

Bernard Charbonneau. Réformisme et révolution in Esprit, n° 77, 1er Février 1939.