La guerre actuelle m’apparaît de plus en plus comme une guerre des races contre les nations.

Je ne méprise nullement l’idée de race, je me garderais plus encore de la nier. Le tort du racisme n’est pas d’affirmer l’inégalité des races, aussi évidente que celle des individus, c’est de donner à cette inégalité un caractère absolu, de lui subordonner la morale elle-même, au point de prétendre opposer celle des maîtres à celle des esclaves. S’il existe une morale des maîtres, elle ne saurait se distinguer de l’autre que par l’étendue et la sévérité de ses exigences, mais l’esprit public est tombé si bas, même chez les chrétiens, que le mot de maître évoque instantanément l’idée de sujétion, non de protection. « Il n’y a pas de privilèges, il n’y a que des services », tel était jadis le principe fondamental de l’ancien droit monarchique français. Mais il ne peut être compris que par une nation de vieille race, de race seigneuriale, pour qui la marque la plus évidente d’une basse origine est d’être naturellement tenté de se servir des faibles au lieu de les servir.

Lorsqu’on parle de la tradition libérale ou démocratique de mon pays, on oublie qu’elle exprime, souvent sans le savoir, une conception aristocratique de la vie. Car elle n’a nullement le sens ni l’esprit d’une simple revanche des opprimés contre les oppresseurs, elle traduit en un vocabulaire malheureusement mis à la portée du premier venu, d’un public inculte – du monde moderne en un mot – le sentiment à la fois chrétien et chevaleresque que la véritable égalité ne peut naître que dans une société assez ancienne pour que l’étroite solidarité des obligations librement consenties fasse tour à tour, de chacun de ses membres, des serviteurs conscients de leurs droits et des maîtres conscients de leurs devoirs. Mais qui se soucie aujourd’hui de l’expérience accumulée au cours des siècles par un peuple aussi sage et aussi humain que le nôtre ? Les politiciens répètent à tort et à travers le mot de démocratie et le public docile croit fermement que ce mot signifie la même chose pour un paysan de l’Île de France ou pour un mineur de Californie. Ce qui importe à l’homme, ce n’est pas d’avoir des droits mais la fierté nécessaire pour en porter la charge avec naturel et dignité, car ils pèsent plus lourds que les devoirs.

Georges BERNANOS.



Paru dans La Nouvelle Relève en janvier et février 1942.