Est-ce bien la France qui méconnaît à ce point les droits les plus sacrés de l’homme envers l’homme ? Est ce elle qui déchire le pacte fondamental de l’humanité, qui livre au riche l’âme et le corps du pauvre pour en user à son plaisir, qui foule aux pieds le jour de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, le jour sublime du peuple et de Dieu ? Je vous le demande, est ce bien la France ? Ne l’excusez pas en disant qu’elle permet à chacun le libre exercice de son culte, et que nul, s’il ne le veut, n’est contraint de travailler le septième jour ; car c’est ajouter à la réalité de la servitude l’hypocrisie de l’affranchissement. Demandez à l’ouvrier s’il est libre d’abandonner le travail à l’aurore du jour qui lui commande le repos. Demandez au jeune homme qui consume sa vie dans un lucre quotidien dont il ne profite pas, s’il est libre de respirer une fois par semaine l’air du ciel et l’air plus pur encore de la vérité. Demandez à ces êtres flétris qui peuplent les cités de l’industrie, s’ils sont libres de sauver leur âme en soulageant leur corps ; demandez aux innombrables victimes de la cupidité personnelle et de la cupidité d’un maître, s’ils sont libres de devenir meilleurs, et si le gouffre d’un travail sans réparation physique ni morale ne les dévore pas vivant ; demandez à ceux mêmes qui se reposent en effet, mais qui se reposent dans la bassesse des plaisirs sans règle, demandez leur ce que devient le peuple dans un repos qui n’est pas donné et protégé par Dieu. Non, messieurs, la liberté de conscience n’est ici que le voile de l’oppression ; elle couvre d’un manteau d’or les lâches épaules de la plus vile des tyrannies, la tyrannie qui abuse des sueurs de l’homme par cupidité et par impiété.

Henri Dominique Lacordaire. Cinquante-deuxième conférence de Notre Dame. Du double travail de l’homme. 16 avril 1848.