Un jour les novateurs sociaux réussiront à purger la rue de ses chanteurs comme de ses rémouleurs à clochette, vitriers gutturaux, tonneliers ventriloques et autres artisans baladeurs. Peut être aurons nous encore un petit contingent de chanteurs sous licence, matriculés, assurés, imposés au forfait sous le contrôle des organismes culturels et touristiques, mais le chanteur libre, le chanteur quand ça lui chante, le ténor à muscadet pointu, la basse chantante à beaujolais caverneux, le diseur de complaintes au bon cœur des bourgeois, le ménestrel antisocial, qui récolte un frauduleux bénéfice tombé du cinquième étage au seul nom de la charité, sans prélèvement fiscal, on lui fera la vie dure ; Il lui resterait d’aller chanter les Blés d’Or à la cour du roi Bhumibal, mais le temps n’est plus où l’homme libre sans devises ni passeport, chantait un air pour payer ses étapes à travers un monde où la fraternité n’était pas encore une invention socialiste.

Jacques Perret. Bâtons dans les roues. Gallimard, 1953.