F : Je ne suis pas d'accord sur le soi-disant "suicide démographique de l'Europe". Cela veut-il dire que la France était morte ou morte-née ou pas vraiment vivante quand elle ne comptait que vingt ou quarante millions d'habitants ? Je trouve cette vision trop prisonnière d'une vision quantitative et économique de la population, du peuple, de la nation.

D'ailleurs, ne pas vouloir faire trop d'enfants n'oblige pas forcément à accueillir une immigration massive. Cela y oblige certes dans un contexte culturel-civilisationnel industriel, capitaliste, productiviste, libre-échangiste, mondialiste, etc.

Mais on pourrait très bien décider d'un autre mode de vie en matière économique, démographique, etc. - moins mais mieux (pour résumer) - couplé à un protectionnisme écologique, économique, démographique, etc. (d'ailleurs ce protectionnisme serait indispensable à ce mode de vie). La Nouvelle-Zélande ou l'Australie ne se sentent pas obligées d'"accueillir toute la misère du monde..."

C : Sur la démographie, tu confonds deux choses : l'état d'une population à l'instant t et sa dynamique. Je ne suis pas attaché à un chiffre quelconque de population "optimum", c'est absurde selon moi. En revanche, ce qui fait la vie d'une société, c'est une population dynamique. Non pas dans le but tout aussi absurde de se multiplier comme des lapins pour être les plus nombreux possible, mais simplement pour assurer le renouvellement des générations de façon à ne pas devenir une population de "vieux", ce que l'Europe est en train de devenir (sans même parler qu'une population qui décroît conduit à la mort lente, l'histoire le montre d'une façon impitoyable). Et je ne le souhaite pas pour nos enfants car c'est franchement peu sympa un pays où une majorité de la population est âgée, sans parler de tous les problèmes connexes graves que cela soulèvent. C'est un des sujets où je ne suis vraiment pas en phase avec certains écologistes (comme leur phobie du logement individuel)…

F : Je ne suis pas d'accord avec toi non plus sur la dynamique justement - aujourd'hui nous payons en quelque sorte le prix du baby boom qui va devenir un papy boom, et qui dans les structures socioéconomiques contemporaines oblige soit au natalisme, soit à l'immigration. (Et comme ce ne sera pas le natalisme, ce sera l'immigration - prêcher le natalisme revenant alors à légitimer l'alternative de fait qui est l'immigration). L'avortement massif et bientôt l'euthanasie - qui sont des tendances inéluctables dans les structures socioéconomiques contemporaines qui les impliquent - sont la suite logique de la médicalisation de l'existence et de la baisse de la mortalité infantile - qui de subie devient choisie et reportée sur une mortalité prénatale volontaire très élevée (= IVG) - et de l'allongement de l'espérance de vie - qui mène massivement et structurellement à la question de l'euthanasie passive ou active. La mortalité de subie devient davantage choisie : ce que nous refusons de la nature, nous l'assumons dans notre culture. La seule alternative possible à la régulation démographique totale (incluant avortement et euthanasie) est la décroissance économique et technologique - là où les cathos de Limite et de la Décroissance sont les seuls logiques et cohérents d'ailleurs. La maison individuelle devient d'ailleurs une absurdité et bientôt une impossibilité dans une population mondiale croissante. Il ne s'agit pas d'une phobie du logement individuel (que tu n'as dû d'ailleurs relever en la ressentant comme telle que chez Cheynet je pense) - la plupart des écolos rêvent d'une maison familiale à la campagne - mais d'une réflexion pratique logique.

Mais on peut envisager également décroissance économique et régulation voire décroissance démographique naturelle, écologique et bioéthique. Je ne vois pas pourquoi une population devrait forcément augmenter pour être dynamique. Il y a des dynamiques quantitatives et des dynamiques qualitatives. Pour ma part je voudrais un monde moins populeux - et vivre dans une maison à la campagne.

C : Je te remercie de tes objections qui aident à la réflexion. Juste quelques réponses très rapides, car je n'ai pas le temps d'approfondir, tu me pardonneras. Je comprends ta logique et elle me semble en effet cohérente : tu recherches une décroissance démographique. Et si l'on n'est favorable ni à l'avortement, ni à l'euthanasie, ni au refus de la médecine moderne pour les plus pauvres, ni à la guerre atomique qui permettrait d'éliminer quelques milliards d'humains, la seule solution est celle que tu préconises sans d'ailleurs le dire ouvertement, arrêter de faire des gosses (d'ailleurs avec trois enfants, tu es fort peu décroissant, mon cher). Car ta logique est bien celle-là : arrêter d'avoir beaucoup d'enfants. Et tu ne peux nier les conséquences de ce choix : c'est obligatoirement le vieillissement général de la population, que tu le veuilles ou non, toute population qui décroît NATURELLEMENT (c'est-à-dire sans être la conséquence d'un épidémie ou d'une guerre, qui étaient les deux principaux leviers de la décroissance démographique dans l'histoire) vieillit, c'est mathématiquement imparable, il faut assumer cette conséquence si tu veux être un décroissantiste cohérent.

F : Je n'ai pas de position tranchée ni aboutie, mais je pense que globalement l'humanité doit se limiter tant démographiquement qu'économiquement et je l'ai toujours pensé - l'auto-limitation étant d'ailleurs une vertu évangélique et les Evangiles étant très peu familialistes ni natalistes - Jésus Fils unique de Dieu - et de Marie, ne se marie pas, n'a pas d'enfants, arrache les apôtres à leurs familles, prône la perfection de l'abstinence et du célibat, etc. (sans pour autant interdire la procréation ni le mariage, qu'il rend plus difficile et exigeant comme engagement etc.) - j'ai déjà écrit ailleurs sur ça. Et je pense que cette limitation doit passer par une double décroissance économique et démographique. Moins mais mieux. Evidemment je préfère un monde avec plus d'humains et moins de bagnoles, plus de gosses et moins de pétrole. Donc c'est surtout la décroissance économique qui prime, liée à une limitation démographique. Je ne suis donc pas contre la contraception "naturelle" en soi (biologique ou mécanique), mais contre toute contraception chimique ou abortive - toute contraception non bioéthique si tu veux.

Oui, on a fait trois gosses proches comme de jeunes cathos écolos humanitaires idéalistes planants inconscients, et on voit combien c'est dur de les éduquer... Mais bon, c'est la vie, là où il y a des gosses, il y a de la vie !

Je ne rêve pas d'une Europe vieillie ni d'un monde de vieux, mais je pense qu'un certain moratoire sur la médecine gériatrique et l'arrêt d'un certain acharnement thérapeutique global avec une réorientation des budgets et des priorités ne serait pas forcément un mal - pas d'euthanasie, non, mais laissez les vieux partir en paix ! Les vieux vivent globalement trop vieux dans nos pays... Mais c'est un marché plus que juteux...

Mais bon, je ne me fais aucune illusion, je pense que nous aurons inéluctablement de plus en plus massivement et structurellement l'avortement massif (chimique notamment), l'euthanasie, l'immigration massive, l'austérité économique couplée au capitalisme mondialisé, la catastrophe écologique, la crise climatique, etc. - bref tout le pire, et rien n'indique le contraire.

C : Je suis bien d'accord avec toi, moi aussi je suis pour les limites et d'abord, car ce sont elles qui commandent tout le reste, des limites à la volonté de l'homme de se prendre pour Dieu et de prétendre s'émanciper de toute borne, qu'elle vienne de la transcendance, de la nature et même de la culture ou de la tradition. Mais je ne suis pas décroissantiste, car en faire une fin relève pour moi de l'idéologie (et c'est appliquer une grille unique à des choses et des situations infiniment complexes), comme d'ailleurs pour les adeptes de la croissance. La fin du politioque est de viser une vie bonne, plus humaine à dimension aussi plus humaine, donc plus petite, en revenant davantage au local, etc. Qu'une telle approche puisse conduire à une certaine décroissance comme l'avait fort justement dit François dans Laudato si' (mais il ne visait que les pays développés, et il avait raison), c'est fort possible, mais ce n'est pas cela qui est recherché en tant que tel. Et, à l'échelle de la planète, je ne pense pas que cette approche conduise à la décroissance, seulement à une croissance peut-être plus faible mais aussi plus intelligente – mais il faudrait surtout redéfinir la croissance qui, dans sa définition actuelle, est absurde et conduit en effet à des absurdités.

Je ne suis pas du tout nataliste, non plus, mais je ne supporte pas la prétention d'un Etat à te dire combien d'enfants tu dois avoir, c'est pour moi une intrusion insupportable dans la vie des couples. Et, encore une fois, la décroissance démographique naturelle, c'est forcément se bâtir un monde de vieux, je trouve ça horriblement démoralisant…

Et il y a chez les décroissantistes (comme chez trop d'écologistes) un pessimisme fondamental que je ne partage pas. Je ne verse pas dans l'excès inverse d'un optimisme béat (du moins je l'espère), mais si l'on est chrétien, on ne peut pas appréhender la création sans un regard et donc aussi une confiance surnaturelle – en sachant d'ailleurs que notre monde aura bien une fin.

F : Je suis parfaitement d'accord avec toi, et je ne suis pas plus décroissantiste que toi, croissance et décroissance sont une question de contexte et de situation. Dans le cadre actuel, je suis décroissantiste économique ou altercroissantiste (la décroissance est une altercroissance de toute façon - low tech, eco tech, agri bio éco, énergies vertes, etc.) : la question c'est la vie bonne, et la limite et la mesure qui vont avec. Le problème comme toujours c'est l'hubris, la démesure - et l'hubris démographique en fait partie - mais là encore, c'est selon les contextes, les situations, les continents, les pays... Pour ce qui est de la maison individuelle, sa traduction massive (je veux dire dans une société de masse) est l'habitat pavillonnaire, qui est une aberration urbaine, logistique, économique, écologique, etc.

C : Juste une question : explique-moi en quoi l'habitat pavillonnaire est-il tout ça, plus que l'habitat dans des immeubles (même de luxe) où l'on entasse les gens comme des lapins ?

Le pavillon n'est pas mon idéal, mais je préfère mille fois habiter un modeste pavillon qu'un appartement de luxe dans une tour !

F : Oui, les tours concentatrionnaires sont l'autre pan de la catastrophe, et parcticipent de la même civilisation de la voiture que l'habitat pavillonnaire.

Il ne s'agit pas tant de comparer à ce qui existe qu'à ce qui pourrait exister et qui existe déjà de manière très minoritaire.

J'ai lu beaucoup de livres et de revues à une époque sur l'architecture et l'urbanisme écologiques.

L'idéal, d'un point de vue économique/écologique/énergétique c'est l'habit compact bioclimatique - de petits "immeubles" bioclimatiques avec des communs partagés (chauffage central, buanderie, etc.), unités qui peuvent s'intégrer aussi bien dans un paysage urbain que rural ou semi-rural. Des sortes de grandes maisons ou bastides semi-communautaires avec des appartements individuels et des services communs. Ni trop grand (les tours de béton antiécologique et énergivores au possible) ni trop petit (l'urbanisme pavillonnaire énergivore et antiécologique).

Après, en partant de ce qui existe, il s'agit surtout de transformer autant que possible l'habitat existant (individuel ou collectif) en habitat bioclimatique écologique et énergo-économique.

Après, je te comprends parfaitement - pour ma part, même une maison de lotissement comme celle où nous vivons actuellement est insupportable, alors ne parlons pas d'un appartement ! Je veux une maison à la campagne sans voisins audibles ni visibles - et tant pis pour les kilomètres en bagnole !

C : Merci, ça m'intéressait d'avoir ton explication. Mais je pense que l'on peut concevoir des maisons individuelles parfaitement écologiques, la concentration n'apporte pas un plus déterminant en la matière. Cela étant, en fonction du contexte, je ne suis pas du tout opposé à l'habitat que tu préconises en petits immeubles bioclimatiques.

F : Oui, individuellement, les maison individuelles peuvent être écologiques, mais c'est massivement qu'elles le sont moins qu'un habitat compact - en raison des infrastructures routières et urbaines qu'elles impliquent et surtout de la circulation routière et avant tout de la voiture individuelle.

C : Je comprends bien, mais c'est là où je ne partage pas cette approche qui relève pour moi d'une vision un peu "soviétique" de la vie où on impose autoritairement aux gens leur façon d'habiter et de vivre(eh oui ! désolé, c'est mon côté individualiste, je ne le nie pas, j'assume), surtout que je ne partage pas l'obsession anti-voiture des écologistes; je suis pour maîtriser la voiture (l'enlever des villes, par exemple, très bien… à condition de prévoir des alternatives efficaces en termes de transports en commun), absolument pas pour la supprimer.

F : Oh, je ne suis pas soviétique, je suis anarchiste de tendance individualiste et libertaire et même assez libéral en un certain sens - je suis depuis toujours (et je l'étais déjà quand j'étais royaliste à quatorze-seize ans) pour un Etat régalien minimal et une organisation fédérative autonome de la société sur la base d'une démocratie confédérale intégrale à base locale (communale et même par arrondissement et quartier) et sur une base associative et territoriale pour tout ce qui est des services publics qui doivent être à mon sens socialisés mais désétatisés (santé, éducation, etc.). Je suis pour une libération/libéralisation/socialisation de quasiment toutes les activités qui sont aujourd'hui le fait de l'Etat. Autonomie partout - et éducative avant tout - je parle en connaissance de cause, je serais même plutôt favorable à une libéralisation et même privatisation totale de l'Education nationale plutôt qu'au système actuel !...

Outre ses fonctions régaliennes, l'Etat doit juste autant que possible encadrer et réguler l'organisation sociale (et notamment les débordements et excès d'un trop de liberté marchande par exemple - la liberté du renard dans le poulailler) notamment dans un sens écologique - sa fonction à l'égard de la société étant essentiellement négative - une fonction de contrôle et d'interdiction - action négative indirecte - plutôt que positive - action positive directe. (Cf. Haudricourt)

Les villes piétonnes où j'ai pu aller sont extrêmement agréables, il faut supprimer la voiture des zones urbaines avec des alternatives de transports alternatifs en commun ou individuels silencieux, écologiques, non-polluants et non-bruyants (le vélo avant tout !). Et développer cette politique autant que possible pour toutes les zones péri-urbaines et même rurbaines ou rurbanisées.

Je ne suis pas pour imposer des façons de vivre, mais il faut voir que le laisser-faire en la matière impose de fait massivement des manières de vivre que personne n'a choisies individuellement - à ce sujet je t'invite à lire le remarquable livre La tyrannie des modes de vie. Sur la paradoxe moral de notre temps de Mark Hunyadi (professeur de philosophie morale et politique à l'université catholique de Louvain) : http://www.editionsbdl.com/fr/books/la-tyrannie-des-modes-de-vie.-sur-le-paradoxe-moral-de-notre-temps-/465/

Donc faut-il subir collectivement (et donc individuellement) les modes de vie non-voulus massivement subis et involontairement issus de modes de vie individuels souvent de moins en moins choisis et également de plus en plus subis puisque de plus en plus conditionnés par les modes de vie massivement structurants (qui peut aujourd'hui refuser le portable ou internet sans se marginaliser ?) OU ne vaudrait-il pas mieux reprendre la main sur nos modes de vie en les décidant et les choisissant collectivement (définir collectivement les choix possibles et légitimes) et individuellement dans ce cadre de décision collective ?