La lutte des petites communautés naissantes pour l'autogestion régionale en dépit de l'Etat-Nation niveleur, fauteur de dépression civique, paraissait hier encore sans espoir. Elle va devenir le seul espoir concret des peuples que la Crise générale n'aura pas jetés dans des régimes de pénitence totalitaire - ou qui refuseront d'y subir plus lontemps la sécurité des troupeaux. Je dis bien qu'il s'agit de lutter et de créer en dépit de l'Etat-Nation, non contre lui : car son effondrement ne pourrait aujourd'hui qu'écraser beaucoup de monde, faute de structures d'accueil extérieures au système. Il s'agit sans doute d'initier autre chose, de semer, de planter, de nouer des liens vivants ; d'élaborer tout en l'anticipant en nous d'abord, un modèle neuf de société fondé sur de nouvelles unités de base et sur de nouveaux types de liens communautaires. Initier, inventer sans délai, sans attendre les échéances que les Etats et leurs experts tentent désespérément de reporter... L'Etat-Nation se survit lourdement, par les effets de l'inertie bien plus que par les menées illégales de ses polices parallèles et de ses "plombiers", - menées qu'on voit dèjà se retourner contre lui. Sa seule défense est dans l'actuel défaut d'une formule de remplacement, d'une alternative déclarée.

Denis de Rougemont, L'Avenir est notre affaire, 1977.