La question n’est pas de trouver un nom nouveau pour la démocratie, mais de découvrir sa véritable essence ; de passer de la démocratie bourgeoise, desséchée par ses hypocrisies et par manque de sève évangélique, à une démocratie intégralement humaine ; de la démocratie manquée à la démocratie réelle.

Le concept de souveraineté ne fait nullement partie des principes authentiques de la démocratie, il n’appartient ni à sa véritable inspiration ni à sa véritable philosophie, il appartient à un héritage apocryphe qui a paralysé la démocratie.

Une grande cause de l’échec des démocraties modernes à réaliser la démocratie est le fait que cette réalisation exigeait inéluctablement de s’accomplir dans l’ordre social comme dans l’ordre politique, et cette exigence n’a pas été satisfaite. Les antagonismes irréductibles inhérents à une économie fondée sur la fécondité de l’argent, l’égoïsme des classes possédantes et la sécession du prolétariat… ont empêché les affirmations démocratiques de passer dans la vie sociale ; et l’impuissance des sociétés modernes devant la misère et devant la déshumanisation du travail, leur impossibilité à surmonter l’exploitation de l’homme par l’homme ont été pour elles une amère faillite.

Si la victoire n’apportait pas les bases d’une réorganisation mondiale engageant l’effort des hommes dans une œuvre commune dominée par un tel idéal de démocratie réelle, la civilisation n’aurait échappé à un péril imminent de destruction que pour entrer dans une période de chaos.

Jacques Maritain, Christianisme et démocratie , 1943.