« Ne vous conformez pas a ce monde présent, mais transformez-vous par le renouvellement de l’esprit. »

Romains 12, 2

Produit d’une raison séculière et donc rétrécie, la modernité fondée sur la violence s’achève dans le nihilisme. S’employant à déconstruire le mythe de l’État moderne salvateur, de nouveaux théologiens, anglo-saxons pour la plupart, lui opposent l’Église, véritable communauté de référence et de résistance. Puisant dans ses ressources – notamment liturgiques -, elle peut restaurer une amitié politique fondée sur la participation au Christ.

On y croise Stanley Hauerwas et « le Royaume de paix », John Milbank de Radical Orthodoxy, l’anarchisme eucharistique de William Cavanaugh, l’économie divine de Stephen Long, la plotique de Jesus de John Yoder, le reveil de la chretiente d’Aidan Nichols, l’Etat humble d’Oliver o’Donovan - et quelques autres encore, souvent inspirees par un renouveua a la fois augustinien et thomasien, ainsi que les jesuites de la « nouvelle theologie » : Hans Urs von Balthasar, Henri de Lubac …

Tous sont réunis dans l’ouvrage introductif de Denis Sureau, directeur de L’Homme Nouveau : Pour une nouvelle théologie politique (Parole et Silence 2008).

Toute théologie chrétienne est politique dans la mesure où le christianisme n’est pas un corps de croyances seulement destinée à la discussion intellectuelle abstraite, mais un mode de vie qui incarne ces croyances, et les relations sociales en sont une composante importante. Toute théologie implique donc une vision implicite ou explicite de l’organisation des communautés humaines. Cependant, affirmer que toute théologie est politique ne revient pas à réduire la foi aux questions politiques ni à nier la dimension transcendante et spirituelle du christianisme.

Il s’agit d’aborder les questions politiques non en acceptant d’emblée, comme un donné, les présupposés, le langage et la grammaire de l’idéologie libérale dominante, mais en se fondant sur les ressources spécifiques de la théologie. Trop souvent, les chrétiens sont sommées de penser la politique a partir de notions telles que l’État de droit, la souveraineté, la société civile, la démocratie représentative ou les droits de l’homme, quitte a procéder dans un second temps a des rectifications et compléments afin de les rendre comestibles. Or ces notions ne sont pas neutres : ce sont les fondements de la politique moderne, élaborées contre le christianisme afin de le marginaliser puis de l’éradiquer. Pour en sortir, c’est à partir de « lieux » proprement théologiques (nature et grâce, Trinité, création, christologie, Esprit Sainte, Église…) que nous pouvons correctement analyser et comprendre notre monde.

Même la messe est un acte politique : non qu’il faille « faire de la politique à la messe », mais parce que l’eucharistie fait l’Église (Lubac), elle crée un corps – le Corps du Christ – qui est aussi social et transcende toutes les frontières. Face à la dissociation entreprise par le pouvoir politique moderne, l’eucharistie permet de résister à l’imaginaire étatique. En ce sens, elle est éminemment subversive. Elle brise la captivité politique de l’Église dans la Babylone moderne.

La raison séculière n’est pas la raison en tant que telle mais seulement un mode contingent, conditionnée historiquement, d’une raison limitée, rétrécie. Son caractère réducteur explique pourquoi elle n’a pu produire un monde de paix, de liberté et de joie. En mutilant l’homme concret, elle s’est avérée incapable de fonder une réelle sociabilité. Fondée sur la violence, elle finit en violence (Milbank). Une violence suicidaire, la violence des désespérés qui révèle par son ampleur l’inadéquation du projet libéral à l’être de l’homme. Aujourd’hui exténuée intellectuellement, épuisée moralement, il ne lui reste que le pouvoir. Mais tout le pouvoir. Dépouillée de l’illusion de sa rationalité, la raison séculière n’est plus que l’ornement de la nouvelle barbarie et du nouveau totalitarisme, cet « ère du vide » décrite par Gilles Lipovetsky, « les ténèbres qui nous entourent déjà » évoquées par Alasdair McIntyre. La nouvelle théologie politique ne prétend pas sauver le monde. Dépasser la raison séculière n’est pas l’œuvre de la seule théologie – encore moins de l’exercice solitaire de la théologie – car la théologie est l’articulation intellectuelle de l'expérience de l’Église, et elle vacille lorsque lui manque cette expérience.

C’est seulement dans la catholicité de l’Église que l’universalité que nous expérimentons, à la différence du faux universalisme abstrait de la modernité, s’harmonise avec l’enracinement de notre identité concrète. Nous y apprenons à regarder autrement la réalité, à connaître toutes les dimensions de l'expérience humaine et à développer touts les types de relations sociales y compris politiques et économiques. L’Église n’a pas une éthique sociale, elle est une éthique sociale. La politique chrétien est la politique de la communauté chrétienne. Et c’est en puisant dans ses ressources spirituelles, théologiques, liturgiques et canoniques que l’Église redevient dans la cité des hommes un véritable corps social alternatif, le Corps du Christ, authentique communauté de vertu et de salut intégral, signe pour les nations, nation faite pour toutes les nations.

D’où qu’ils viennent, avec leurs blessures, leurs souffrances, tous les chrétiens sont appelés – individus, familles, communautés – à retrouver l’Église avec toute la densité de sa vie sociale. Dans la société brisée par la sécularisation, subsistent des familles, de personnes, des paroisses, des écoles, des mouvements, des monastères qui vivent intensément l’amour de Dieu. Ils ont besoin de sortir de leur isolement et de retisser des liens ecclésiaux et, partant, sociaux. Comme l’écrivait Jean-Paul II :

Faire de l’Église la maison et l’école de la communion : tel est le grand défi qui se présente a nous dans le millénaire qui commence.