L’Américain Alasdair McIntyre, philosophe catholique, auteur d’Après la vertu et Quelle justice ? Quelle rationalité ? , tire jusqu’au bout les conséquences de son aristotélisme revu par son thomisme. Pour lui, l’opposition entre individualisme et collectivisme est factice :

L’essentiel est en fait ce sur quoi les parties en présence s’accordent : il n’existe que deux modes de vie sociale possibles, l’une où les choix libres et arbitraire des individus sont souverains, l’autre où la bureaucratie est souveraine, précisément pour limiter les choix libres et arbitraires des individus. Étant donné ce profond consensus culturel, il n’est pas étonnant que la politique des sociétés modernes oscille entre une liberté qui n’est qu’une absence de régulation du comportement individuel et des formes de contrôle collectiviste ne visant qu’à limiter l’anarchie des intérêts privées.

Ou la synthèse des deux sous la forme de nos sociétés permissives contrôlées – où le contrôle augmente selon la permissivité. Les anciennes sociétés de l’interdit mais a faible contrôle sociale étaient certainement moins liberticides que les nôtres – sociétés du « tout est permis » mais au contrôle social total.

Les débats contemporains au sein des systèmes politiques modernes opposent presque exclusivement des libéraux conservateurs, des libéraux centristes et des libéraux de gauche. Cela ne laisse que peu de place pour la critique du système lui-même, c’est-à-dire pour la remise en question du libéralisme.

MacIntyre est hostile à l’État-nation qui s’est construit en détruisant les corps intermédiaires, les traditions, les hiérarchies sociales – toute la « tradition des vertus », la vertu étant selon le mot de saint Augustin l’ordre de l’amour : virtus est ordo amoris. Dans une formule célèbre MacIntyre s’est exclamé : « Mourir pour l’État moderne, c’est renoncer à sa vie pour un opérateur de téléphonie. » Mais il n’est pas strictement anarchiste pour autant :

«Rien dans mon raisonnement ne suggère ni n’implique qu’il faille rejeter certaines formes de gouvernement ; je prétends seulement que l’État moderne n’est pas une forme nécessaire ou légitime. La tradition des vertus est en désaccord avec certains éléments centraux de l’ordre économique moderne, particulièrement son individualisme, son désir d’acquisition et la primauté qu’il accorde aux valeurs marchandes. On voit maintenait qu’elle implique aussi un rejet de l’ordre politique moderne. Cela ne supprime nullement de nombreuses tâches qui ne peuvent être accomplies que par le gouvernement.

Face à la dissolution du lien social, la solution devrait être cherchée du côté des communautés locales (famille, paroisse, village, commune, quartier, école, université, associations) agressées tant par l’individualisme de marché que par l’État-Providence. La véritable politique émerge dans des communautés locales car celles-ci sont les plus favorables au développement d’un savoir partagé et à la découverte d’un bien commun. C’est aussi à l’intérieur de sociétés de petite taille qu’une participation délibérative est possible.

Cf. Denis Sureau, Pour une nouvelle théologie politique (Parole et Silence 2008).