De même, pour le prêtre et théologien catholique ougandais Emmanuel Katongole, l’instauration de relations sociales justes suppose des communautés concrètes alternatives, formant des modèles de vie spécifiques, brisant le carcan artificiel de l’État-nation. Il ne s’git pas de se replier sur sa paroisse mais de former des identités, des associations et des communautés locales mais aussi transnationales – par exemple des partenariats entre Églises du Nord et Églises du Sud. L’Évangile n’est pas une sorte de mirage spirituel : le Royaume de dieu doit s’incarner pleinement et transformer toutes les réalités politiques, sociales et économiques. L’espace liturgique est un espace alternatif, un espace sauvage (wild space, selon la théologienne Sallie McFague) à l’intérieur duquel Dieu peut poursuivre son œuvre de réconciliation.

Le théologien et pasteur protestant Stephen Long, professeur a l’Université jésuite Marquette, auteur de sept livres, a développé une profonde critique évangélique du capitalisme et une théologie de l’économie sous le terme d’économie divine . Selon lui, le capitalisme est une hérésie dans la mesure où « il célèbre et développe le pouvoir formel et manipulatoire de la volonté séparément de toute conception du vrai, du bien et du beau. » Pour Long, cette hérésie est antitrinitaire. Exaltant la liberté formelle et souveraine de l’individu, le capitalisme reflète une conception simple, non-trinitaire, de Dieu comme volonte souveraine. Au contraire, l’économie divine consiste en une circulation des dons entre le Père, le Fils et l’Esprit, dons partagés par pure grâce avec la création appelée à participer en Dieu. Au mythe capitaliste de la rareté des ressources qu’il faut s’accaparer dans une concurrence féroce, s’oppose la création découlant de la plénitude originelle divine .

L’économie humaine doit être fondée sur cette économie divine. Le travail devient ainsi un travail liturgique (n’oublions jamais que liturgie veut dire « travail du peuple ») et esthétique offert a Dieu – alors que le travail, dans l’économie actuelle, est un simple contrat par lequel je m’aliène, en faisant de mon travail une marchandise pour mon employeur. C’est une économie sacrificielle et non de réciprocité totale. Elle s’oppose à la notion chrétienne du don, conçu comme une échange entre les personnes et un lien social, et non comme un contrat provisoire. A l’économie capitaliste du contrat, il importe de substituer une économie chrétienne du don .

Une économie sociale, un « socialisme » chrétien qui n’est sans évoquer la vision catholique traditionnelle de ka société dont la cellule de base est la famille et où vivent d’innombrables corps intermédiaires (associations, guildes, universités…) jouissant d’une véritable autonomie par rapport à l’État. Ainsi John Milbank oppose l’espace complexe du Moyen-Âge à l’espace simple de l’individu seul face à l’État. L’Église est le modèle et la base de ce « socialisme du don » car c’est une réalité non fermée sur elle-même mais ouverte, dépassant par son universalité la finalité de l’État et nous unissant a la Cité du Ciel et sa Tête, le Christ. Et c’est dans la communion eucharistique que se réalise le don par excellence : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice… »

Cf. Denis Sureau, Pour une nouvelle théologie politique (Parole et Silence 2008).