« Ne mettez pas votre confiance dans des princes, ni dans les fils d’hommes, qui ne peuvent sauver. » (Psaume 146, 3)

La Bible, c’est un peu comme l’auberge espagnole. On y trouve ce qu’on y apporte. Bossuet avait commis en son temps une Politique tirée des Ecritures saintes, justification scripturaire et glorification littéraire de la monarchie de droit divin. Plus près de nous, Léon Tolstoï ou Jacques Ellul ont tiré du Livre saint des enseignements plutôt anarchisants. René Girard ou Jacques Cazeaux ont mis à jour l’anthropologie biblique et sa dénonciation du pouvoir et de la violence. Mais à part quelques non-violents à la Lanza del Vasto, depuis longtemps les Ecritures n’inspirent guère de vision politique profane. Du moins en France. Laïcité oblige. C’est un peu un coup de pied dans la fourmilière que prodigue Armand Laferrère avec La Liberté des hommes, sous-titré Lecture politique de la Bible. En amateur éclairé, Laferrère, énarque et normalien, note que la Bible contient une critique sévère du pouvoir politique. Selon lui, « la Bible a légué à l’humanité le principe que tout pouvoir politique doit être limité, parce que la tendance de la nature humaine à faire le mal interdit de trouver une questions satisfaisante à la question politique ». Loin d’être une source d’oppression, la Bible est un rempart contre la tyrannie. Elle est la mère de la conception politique européenne classique, et, pour tout dire, chrétienne, fondée sur la limitation, la séparation et l’équilibre des pouvoirs ; sur la liberté et l’égalité des hommes dans le droit ; sur le souci des pauvres et des faibles.

Membre du comité de rédaction de la revue Commentaire, Laferrère semble tirer la philosophie politique de la Bible du côté du libéralisme classique façon Montesquieu et Tocqueville. Soulignant l’exigence de justice sociale, il n’évoque cependant que brièvement la portée radicale, quasi « révolutionnaire », des textes bibliques. Et s’il insiste sur l’importance du « contre-pouvoir prophétique », manque une lecture approfondie de la critique biblique des pouvoirs économiques, technologiques et médiatiques. Le prophète Amos est certes baptisé « premier père spirituel de la gauche occidentale », mais la condamnation, pourtant récurrente et violente dans les Ecritures, des riches, des richesses, de l’argent, est un peu expédiée. On pourrait reprocher à Laferrère d’avoir des lunettes quelque peu « libérales-conservatrices », mais il prend soin de distinguer la « liberté biblique » du « libéralisme moderne ». Car, comme l’a rappelé Benoît XVI dans son épilogue de L’Enfance de Jésus : « La liberté de Jésus n’est pas la liberté du libéral. »