"De la falsification du mariage à l'eugénisme" ; "Une imposture intellectuelle, le keynésianisme" ; "Apprendre à aimer la France"... Si vous êtes jeune, de préférence d'une sensibilité politique plutôt à droite, et prêt à régler une somme modique, voilà quelques-uns des cours auxquels vous pourrez assister dès septembre lors du prochain séminaire de l'Institut de formation politique (IFP).

Avec un petit local administratif à Sèvres (Hauts-de-Seine), dans la proche banlieue parisienne, et un site Internet affichant l'objectif de l'école, "former des jeunes pour redresser la France", cette petite structure n'est pas la plus connue des formations parisiennes. Pourtant, l'IFP, qui fêtera en 2014 ses dix ans d'existence, a formé plus de 600 jeunes à "rejeter l'interventionnisme économique et le relativisme moral" et à "servir leur pays". "Media training", cours de rhétorique, ateliers-débats, conférences... Parmi les centaines d'"auditeurs" qui ont suivi les week-ends de formation de cette petite structure – qui ne délivre pas de diplôme, on trouve quelques figures de la lutte anti-mariage gay, comme Samuel Lafont, ancien responsable national du syndicat étudiant de droite UNI, ou Vivien Hoch, jeune militant très actif dans les sphères radicales des anti-mariage gay comme le Printemps français. Il confirme : "Parmi les dirigeants de la Manif pour tous, certains sont sortis de l'IFP. Lorsqu'on a eu les premières interpellations, il y avait pas mal d'auditeurs de l'école, dans les 'paniers à salade (fourgons de la police)'!"

"AMBIANCE LIBÉRALE-CONSERVATRICE"

L'IFP ne s'en cache pas : elle se destine essentiellement à des jeunes qui se situent politiquement à droite. "Il n'y a pas de corps doctrinal", assure Alexandre Pesey, cofondateur et directeur de la structure. Mais il assume que l'IFP ait des valeurs comme "la primauté de la personne, l'attachement aux corps intermédiaires, aux racines, pas spécialement racines chrétiennes, mais l'ordre naturel des choses, la nature humaine".

Il suffit de consulter les programmes des sessions de formation et leurs intervenants pour comprendre comment ces valeurs sont mises en avant. Deux aspects sont très travaillés : l'économie et les questions de société. Pour le premier, les personnes qui interviennent sont le plus souvent issues d'une sensibilité économique assez fortement libérale. Pour la session de septembre, les intervenants seront par exemple Nicolas Marques, économiste associé à l'institut Molinari, d'orientation résolument libérale, ou encore Agnès Verdier, du think tank libéral Ifrap (Institut français pour la recherche sur les administrations publiques), proche des Contribuables associés.

Mais l'IFP fait aussi la part belle à des représentants de divers courants conservateurs. Le prochain séminaire de niveau 1 réunira ainsi Arnaud Gasset, invité régulier des "camps de la Rose blanche" (PDF) de la fondation "Liberté politique", engagée dans la lutte contre le mariage gay et dans la volonté de propager les idées de l'Eglise ; Jean-Marie Le Méné, président de la fondation Jérôme Lejeune, là encore d'inspiration chrétienne, et qui lutte contre l'IVG et l'euthanasie ; Alexandre del Valle, essayiste et géopolitologue, cofondateur du courant de La Droite libre, un courant situé très à droite au sein de l'UMP, et aux positions résolument pro-israéliennes et peu islamophiles ; Renaud Dozoul, assistant parlementaire du sénateur de Paris Pierre Charon et directeur de l'Observatoire de la christianophobie, ou encore Ludovine de la Rochère, présidente du collectif Manif pour tous et ancienne porte-parole de la fondation Lejeune. Des personnalités toutes classées à droite, et toutes situées dans ce qu'on appelle la "cathosphère", la défense des idées, valeurs et traditions chrétiennes.

UNE ÉCOLE FONDÉE POUR DIFFUSER DES VALEURS LIBÉRALES

Universitaire, auteur d'une thèse sur les mouvements conservateurs américains, et ancien journaliste à Washington, le directeur de l'IFP, Alexandre Pesey, est l'un des trois cofondateurs de l'école. Avec ses deux associés, Jean Martinez, avocat et initiateur du collectif Liberté j'écris ton nom, qui protestait contre les mouvements sociaux de 2003 ; et Thomas Millon, chef d'entreprise lyonnais et fondateur en 2002 de Duel, une association qui organisait des débats entre étudiants, ils se sont rencontrés à l'occasion d'actions menées par quelques jeunes étudiants de sensibilité libérale, un mouvement alors très peu représenté en France.

Alexandre Pesey a passé une partie de ses études à Washington, où il a découvert les think tanks, structures encore inconnues en France à cette époque. Un vieux reportage du site Salon.com le cite, en 2003, lors d'une réunion de jeunes militants du Parti républicain. Surtout, lui et ses deux associés font partie d'une génération de jeunes diplômés qui s'enthousiasment pour les thèses "ultra-libérales" alors surtout en vogue aux Etats-Unis, mais peu développées en France. "On a fait le constat qu'il n'y avait pas de lieu où se former et rencontrer en direct des intellectuels, experts, entrepreneurs, mais avec une ouverture à toutes les sensibilités", explique M. Pesey.

C'est Bernard Zimmern, l'un des fondateurs de Contribuables associés, puissante association qui lutte contre la fiscalité, qui va aider les trois jeunes hommes à monter leurs structure, une association, en leur ouvrant ses réseaux. "On a commencé à organiser une formation, puis trois, puis six, puis huit, ainsi de suite, s'amuse M. Pesey. Aujourd'hui, on en est à douze week-ends de formation par an." Si l'école insiste sur le fait qu'elle n'est affiliée à aucun parti, et si les statuts de l'association interdisent à un dirigeant d'exercer des responsabilités politiques, le public des formations est assez souvent un public militant, qui varie en fonction de l'actualité. Cette année, confirme M. Pesey, "le phénomène 'Manif pour tous' nous a amené un grand nombre d'étudiants, au point qu'on ne peut pas faire assez de séminaires".

Ceux-ci sont d'un coût modique : moins de cent euros pour un week-end de trois jours de formation. "Nous ne sommes pas chers", reconnaît M. Pesey, qui précise que les frais d'inscription ne financent que 20 % de l'activité de l'IFP, les 80 % restants étant assurés par des dons. "Ce ne sont ni des entreprises ni des fondations, mais des individus", assure-t-il, promettant qu'il n'y a "aucun gros mécène". Certains donateurs sont sollicités pour "parrainer" un étudiant. Quant aux intervenants, ils le sont en général à titre bénévole.

TRÈS À DROITE ?




A l'UMP, on ne voit pas forcément d'un bon œil cette formation, qu'on juge "trop à droite", et plus proche des idées de l'UNI, le syndicat étudiant de droite, indépendant du parti tout en en restant proche. M. Pesey tempère : "On dit à nos étudiants 'engagez-vous, quelle que soit la forme d'engagement, allez-y', mais on ne leur donne aucune piste particulière. Cependant, lorsqu'on reçoit des intervenants, ils viennent échanger avec eux de façon assez informelle." Militant très engagé dans la Manif pour tous, Vivien Hoch, qui a suivi plusieurs week-ends de formation depuis trois ans, l'assure, "même si ce n'est pas revendiqué, l'ambiance est clairement libérale-conservatrice".

Les intervenants, eux, sont marqués à droite, voire très à droite. Proche des thèses libérales au départ, l'école a développé ses liens avec divers acteurs de partis ou de mouvements conservateurs sur le plan social. Fin 2012, Maxime Tandonnet, ancien conseiller immigration à l'Elysée, proche de Patrick Buisson, venait parler immigration. Jean-Yves Le Gallou, figure historique de l'extrême droite, est venu évoquer les médias, quand Yvan Blot, cofondateur avec M. Le Gallou du Club de l'horloge, l'un des creusets de l'extrême droite moderne, a échangé avec les auditeurs autour de la "démocratie directe", son dernier cheval de bataille. On peut encore citer Dominique Venner, autre "vieux sage" de l'extrême droite française, passé à la postérité en se suicidant par balle à l'intérieur de Notre-Dame-de-Paris, le 21 mai, qui était venu présenter un ouvrage en 2010. "C'est un intervenant comme nous en avons trois cents", justifie M. Pesey.

"L'accusation de radicalisme ne m'étonne pas, renchérit Vivien Hoch, "on est peut-être trop à droite pour certains, mais nous on se bouge." Pour le jeune militant, les valeurs qu'enseigne l'IFP la situent dans "les lignes de séparation actuelles au sein de l'UMP", entre tenants d'une droite plus modérée et partisans d'une "droite des valeurs", dans la ligne suivie par Patrick Buisson, conseiller de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle. L'école, en tous cas, prépare ses étudiants à l'action politique. On y apprend à "faire un tract, un discours, écrire pour d'autres"...

LA "CATHOSPHÈRE" ET ICHTUS TRÈS REPRÉSENTÉS

Plus récemment, l'IFP a fait la part belle à la "cathosphère". En mars, les étudiants ont ainsi pu entendre Philippe Darantière leur "décrypter l'extrême gauche". Ancien para, cette figure de la sphère traditionnaliste catholique est considéré, comme l'avaient révélé Le Monde et Mediapart, comme l'un des grands inspirateurs, avec Béatrice Bourges, des actions du "Printemps français". M. Darantière, comme Mme Bourges, gravite autour d'une fondation baptisée Ichtus, héritière du mouvement contre-révolutionnaire d'extrême droite de la "cité catholique".

En 2012, en marge de la formation, l'IFP proposait d'ailleurs aux étudiants d'assister à une réunion du "réseau juristes d'Icthus", qui réunit les femmes et hommes de loi proches de la fondation et de ses idées. Et en mars, Bruno de Saint-Chamas, président d'Ichtus, venait évoquer des "morceaux choisis pour aimer la France".

On trouve dans les formations de l'IFP une bonne partie du noyau dur de la Manif pour tous : Aude Mirkovic, juriste qui a fourni nombre d'argumentaires anti-mariage gay ; Pierre de Balincourt, consultant en communication et porte-parole, de la "life parade", une association anti-IVG dont la campagne était soutenue par la fondation Jérôme-Lejeune, Alliance Vita et d'autres acteurs des mouvements "pro-vie" qui étaient aussi mobilisés contre le mariage ; Béatrice Bourges, chef de file du Printemps français, était intervenue en 2010 au nom de son "collectif pour l'enfant" ; Elizabeth Montfort, elle aussi figure des catholiques traditionalistes et adversaire déclarée du "lobby du gender" évoquait la question fin 2012 devant les étudiants de l'IFP.

Et ceux-ci sont nombreux à s'être engagés dans la lutte anti-mariage. Il suffit, sur Facebook ou Twitter, de croiser les mots-clés IFP et "Manif pour tous" pour le constater.

DES INTERVENANTS PARFOIS "LIMITE"

Tous les formateurs de l'IFP ne sont pas aussi engagés ni aussi radicaux. Des économistes, des politologues plus "neutres" viennent également, de même que des journalistes, par exemple Eric Le Boucher, des Echos, Guillaume Perrault, du Figaro, ou Raphaël Stainville (ancien de l'hebdomadaire Valeurs Actuelles qui travaille désormais au Figaro magazine). Mais quelques thématiques sont abordées par le biais d'acteurs et de discours d'un genre particulier. C'est le cas des questions d'immigration et d'Islam.

Outre Alexandre del Valle, auteur de textes violents contre l'Islam, on peut citer, sur les questions de sécurité, un membre de l'Institut pour la justice, organisation de victimes aux méthodes parfois douteuses, ou encore Anne-Marie Delcambre, islamologue et théoricienne de l'unicité entre islam et islamisme, et souvent citée par divers groupes d'extrême droite, ou Marie-Thérèse Urvoy, autre islamologue aux positions là encore très critiques sur l'islam, et régulièrement reprise par des groupes islamophobes comme "Riposte Laïque". "On va chercher des gens qui sortent des sentiers battus, qui présentent ce qu'on n'entend pas trop", explique M. Pesey.

INSPIRATIONS AMÉRICAINES

"C'est une formation différente, un peu à l'américaine", se félicite Vivien Hoch, quand Alexandre Pesey reconnaît lui aussi que ce sont les think tanks américains qui l'ont amené à réfléchir à une formation "militante" comme l'IFP. Il a d'ailleurs monté, en parallèle, la "bourse Tocqueville", qui lui permet d'emmener quelques étudiants aux Etats-Unis,

Le directeur l'assure : "Nous ne travaillons avec aucun institut américain en particulier". Les étudiants font un "circuit" dans plusieurs organisations, en général politiquement plus proches des républicains que des démocrates. "On a une cinquantaine de rencontres, avec les médias, les think tanks, c'est 'grand angle'", assure M. Pesey, qui précise que les think tanks en question ne financent pas ces voyages ni l'activité de l'IFP.

L'institut a pourtant bénéficié de quelques bourses et prix outre-Atlantique. Et l'épouse de M. Pesey a travaillé au sein du Leadership institute, un "think tank" qui veut "identifier, entraîner, recruter des conservateurs dans la politique, le gouvernement et les médias", selon son fondateur, Morton C. Blackwell, conseiller du président Reagan. Le leadership institute consacrait en 2012 une interview au directeur de l'IFP. La fondation Templeton, organisme fondamentaliste protestant et conservateur, qui finance des recherches créationnistes, a accordé un "freedom award" à l'IFP en 2008. On peut encore citer la Federalist Society, autre organisation conservatrice "libertarienne" (militant pour un Etat minimal), qui évoque dans son rapport annuel 2012 de "nouvelles relations" établies avec différents groupes, dont l'IFP.

INFLUENCER LE DÉBAT

Les parcours des anciens étudiants de l'IFP sont multiples, et variés. "Certains vont dans l'entreprise, d'autres militent sur des sites, d'autres encore vont travailler en politique, deviennent élus municipaux, collaborateurs d'élus, journalistes, associatifs, etc", se félicite M. Pesey. "Ravi" du cursus, Vivien Hoch évoque aussi les mérites du "réseau de personnes sûres" constitué par les anciens de la formation. "On a à disposition ce réseau, y compris américain, on a les coordonnées de tous les anciens et des offres d'emploi dans des lettres mensuelles", explique-t-il.

Récemment, l'école a créé un prix "Razel de la Toile", destiné à récompenser les étudiants qui agissent au moyen d'Internet. "Avec le Web, on peut être acteur tout seul ou à trois ou quatre", se félicite M. Pesey. Les sites récompensés de ce prix ont été le "pure player" libéral Contrepoints et le portail conservateur Nouvelles de France, qui comptent parmi leurs collaborateurs nombre d'anciens de l'IFP.

Au final, que cherche à accomplir l'IFP ? Alexandre Pesey se défend de tout sectarisme. "On veut créer le débat en France, mais aussi à droite, où ce n'est pas toujours la tradition", explique le directeur. "Après, si les idées qu'on défend avancent, on ne sera pas plus mécontents". A l'heure où la "droitisation" divise l'UMP, et où l'on voit renaître un courant conservateur, notamment autour de questions des "valeurs", comme on a pu le voir lors des débats autour du mariage gay, les idées libérales et conservatrices de l'IFP semblent connaître un succès croissant. Ce dont se réjouit Vivien Hoch, pour qui l'école représente avant tout "un lieu où, enfin, la jeunesse de droite peut être libre et exister".

A l'école française des "libéraux-conservateurs", Le Monde.fr | 26.07.2013 | Par Samuel Laurent