A 24 ans, Gaultier Bès est un des principaux animateurs des Veilleurs. Cet agrégé de lettres est chargé d'organiser la marche cet été qui partira de Bordeaux le 10 août et rejoindra Paris le 31 août. Ce Lyonnais explique ici les fondements de son engagement.

Qu'est-ce qui vous a amené à participer aux Veilleurs ?

J'ai participé à la mobilisation contre le mariage pour tous à Lyon, notamment à la marche solidaire du 17 novembre dernier. En mars, face à l'obstination et au refus du gouvernement de tout débat, alors que la question divisait toujours profondément le pays, il y avait des tentations de radicalisation. Que devions-nous faire ? Nous avons été marqués par la première veillée non violente à Paris sur les Invalides. Du coup, nous avons fait la même chose à Lyon, sur le mode Gandhi, en silence. Puis, je me suis déplacé pour la deuxième veillée à Paris en avril. Je me suis fait remarquer en lisant un texte de Gramsci : « Je hais les indifférents » de 1917. Il est devenu un texte de référence pour nous.

Etes-vous ou avez-vous été engagé politiquement ?

Non, je n'ai jamais milité pour aucun parti politique et ce n'est pas non plus dans mes projets. Mais je m'intéresse à la chose politique depuis longtemps. Et j'ai eu des engagements associatifs, notamment dans le scoutisme. J'ai été chef de troupe chez les Scouts unitaires de France. Beaucoup d'entre nous sommes des « puceaux » de la politique. Ce qui me plaît chez les Veilleurs, c'est la volonté de dépasser les slogans, la polémique stérile et médiatique. Nous voulons vraiment dépasser la logique des partis.

En luttant contre le mariage pour tous ?

Oui, nous nous opposons au mariage pour tous et à toutes ses conséquences. Il s'agit d'une transformation d'une institution fondamentale par l'Etat de manière autoritaire et qui, sur le plan philosophique, est illégitime. Mais cette mobilisation révèle d'autres choses. Elle montre qu'il y a un décalage considérable entre les citoyens de base et leur soi-disant représentants politiques. En face, la mobilisation qui naît n'est pas fondée sur le cynisme, mais sur l'espérance. On peut travailler à la paix, à la justice, autrement que par la magouille. Surtout, nous sommes contre la simplification à outrance du réel. On ne veut plus de la pensée binaire, réflexe, de l'empire du bien et de l'empire du mal. Ainsi, face aux tenants du progrès et de l'égalité pour tous, il y aurait les égoïstes, les infâmes, les réactionnaires et les homophobes. On en arrive à des absurdités : l'homosexuel qui s'oppose à la loi Taubira est traité d'homophobe...

Parce que la réalité est plus complexe ?

Oui. Nous voulons penser la complexité du réel. Tous ceux qui s'engagent ne sont pas des petits-bourgeois mariés qui ont trois enfants. Dans les manifestations contre le mariage pour tous, il y avait énormément d'enfants de divorcés et de familles recomposées. Jean-Pierre Michel, président du groupe du Parti socialiste au Sénat, père du PACS, promoteur de la GPA, a dit à l'égard d'un million de personnes venues de toute la France le 24 mars qu'elles représentaient « une balade de serre-tête et de jupes plissées ». Ce mépris est insupportable. On essaie aussi de comprendre ce qui nous unit avec nos différences à tous les autres mouvements de révolte : de Sao Paulo à Occupy Wall Street, en passant par Notre-Dame-des-Landes.

Mais dans ces mouvements-là, beaucoup de gens sont favorables au mariage gay...

Certes. Mais le mariage pour tous participe d'une logique libérale-libertaire bien décrite par le philosophe Jean-Claude Michéa et l'essayiste Patrice de Plunkett. J'y vois la perte du sens du réel, une forme de l'hybris. Cela se manifeste dans les champs politique, économique, social, écologique, etc. De fait, certains s'opposent à la finance virtuelle. D'autres luttent contre les dégâts environnementaux. Il faut prendre connaissance de ces convergences. Il y a des logiques communes.

Lesquelles ?

Je suis frappé par le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Tous les investissements dans les grands travaux sont gelés... Tout, sauf l'aéroport. Parallèlement, le gouvernement abandonne des promesses comme la taxation de 75 % sur les revenus et la renégociation du traité européen. Il abandonne tout sauf la proposition 31 sur le mariage. Je résume : le gouvernement impose un aéroport sur une surface agricole. On change la définition pluriséculaire du mariage. Dans les deux cas, il y a une réaction populaire et pacifique. Du coup, nous allons rencontrer des militants de Notre-Dame-des-Landes lors de notre marche en août. Personnellement, je suis proche des décroissants à Lyon.

Comment en arrive-t-on à avoir un tel engagement pour une question sociétale que beaucoup jugent anodine au regard des enjeux économiques et sociaux des Français ?

La question du mariage n'est pas anodine. Il est nécessaire qu'il y ait des couples féconds et stables, afin d'assurer l'équilibre générationnel. Je comprends que certains soient surpris qu'il y ait une mobilisation importante pour un enjeu qui ne préoccupe pas tous les Français au quotidien. Il est vrai aussi que la précarisation progresse et il faut s'en préoccuper. Chez les Veilleurs, on veut in fine proposer une alternative pour que le plus faible, le plus vulnérable, le plus fragile soit celui qui nous préoccupe au premier plan, non celui qui a le plus d'argent, qui influe le plus et qui est le plus médiatique. La prise de conscience de l'orphelin que l'on va priver de liens de filiation cohérente et la prise de conscience du travailleur pauvre qui ne peut plus se soigner pourront aller de pair. Mais pour moi il y a une différence entre les questions de filiation et les enjeux économiques. Il n'est pas bon – en principe - de priver délibérément un enfant de son père et de sa mère. Il y a là un clivage fondamental. Pour lutter contre la crise économique ou le chômage – et il faut le faire ! – il y a plusieurs solutions légitimes différentes. C'est en tout cas ce que dit la doctrine sociale de l'Eglise.

Que dire à ceux qui vous considèrent comme un mouvement catholique ?

Que nous ne sommes pas un mouvement catholique, ou religieux en général ! On ne prie pas lors de nos veillées. Nous avons une vision de l'homme que l'on trouve dans toutes les traditions. D'ailleurs, lors de nos veillées, on lit parfois des textes d'auteurs communistes. Nous sommes d'accord avec eux sur certains points. On veut reconquérir l'espace public. Donc, on ne défend pas « les valeurs catholiques ». Personnellement, je suis humaniste. Je ne suis ni communautariste, ni individualiste. Je me soucie du bien commun.

Mais croyez-vous vraiment à l'abrogation de la loi Taubira ?

A court terme, cela peut paraître compliqué. Pour moi, la loi Taubira est une injustice et je me bats donc pour son abrogation. Comme disait Bernadette Soubirous, « je suis chargée de vous le dire, pas de vous le faire croire ».

Le clivage gauche-droite existe-t-il pour vous ?

Il n'a plus aucun sens pour moi. Ce clivage est profondément archaïque. Le gouvernement a voulu recréer ce clivage artificiellement, mais les Français n'en veulent pas. Comme disait Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent les effets ». Je dirais même que les clivages entre gauche et droite et entre libéraux et sociaux n'existent plus. Prenez le vote dans le Parlement européen. La gauche et la droite sont très souvent totalement d'accord. Pour moi, il y a là une différence générationnelle.

Seriez-vous allé dans un cercle de silence ?

Je ne l'ai pas fait, mais je respecte ceux qui le font. Les sans-papiers sont victimes de la dé-régularisation et du déracinement. Il faut les aider pour qu'ils ne soient pas réduits à se déplacer ainsi. Mais sur le fond du problème, je pense que les frontières sont une protection et je ne pense pas qu'un monde sans frontières soit souhaitable.

Veiller, qu'est-ce que c'est pour vous ?

C'est se rendre attentif à ce qui n'est pas spectaculaire, mais est tu, profond, négligé. La veille, c'est la présence dans la nuit, l'attention à la fragilité. D'où l'utilisation de petites bougies et de lanternes. Comme le dit souvent Madeleine Bazin, une des animatrices des Veilleurs, on veut rappeler qu'« on a existé avant d'apparaître ». Le phénomène de la Gay Pride est aux antipodes de ce que nous faisons. Eux, ils veulent rendre visible une fierté informe. Nous n'avons rien à proclamer. Nous sommes en quête et nous nous mettons à l'écoute de textes, d'une tradition et d'une réflexion.

Vous serez professeur de français à partir de la rentrée prochaine dans un lycée public. Quels sont vos auteurs préférés ?

Je suis très éclectique. Mais mon auteur préféré est Bernanos. Et j'aime aussi Péguy. Ces auteurs-là acceptent le doute et la remise en cause. Ils cherchent aussi la cohérence personnelle dans ce qu'ils font. Sur le plan des idées, je peux lire le philosophe Jean-Claude Michéa. Et j'aime bien les journaux d'enquête Fakir et La Décroissance. Ce qui ne m'empêche pas d'apprécier un auteur comme Chantal Delsol. Bien entendu, tous les veilleurs ne lisent pas Michéa, comme moi. Ce qui ne veut pas dire qu'ils lisent tous Valeurs actuelles.

La Vie