Depuis Albert Londres, l’éternel ton décalé de l’écrivain voyageur français est devenu une institution, à laquelle ne déroge pas Jean-Luc Coatalem dans son dernier opus. Doublement décalé, car pour passer douze jours en Corée du Nord, matière de son récit Nouilles froides à Pyongyang, le journaliste se fait passer pour un voyagiste en repérage.

Pris en charge de la première à la dernière seconde par trois guides/gorilles/agents de renseignements, Coatalem durant sa calende dans le pays le plus cadenassé du monde va non seulement faire l’expérience du totalitarisme à l’état brut – qui tourne à l’absurde kafkaïen ou ubuesque – mais également celle du tourisme absolu : son tour operator faussement raté condense l’essence même du tourisme organisé (pléonasme d’ailleurs, tout tourisme étant toujours déjà organisé, même celui qui se croit le plus libre), à savoir l’absence de liberté et la facticité. Le tour de force nord-coréen étant celui d’une liberté ouvertement annihilée et d’un remplacement délibéré de la réalité par une facticité omniprésente. Du tourisme au totalitarisme, n’y aurait-il qu’un pas ?

C’est peut-être, loin de l’Asie fantasmatique, en France profonde, d’en bas, ou encore « moisie » comme disait Sollers, celle moquée des Deschiens et mélancoliquement chérie des départementales chantées jadis par notre ami Jérôme Leroy, que se cache l’aventure. L’aventure intérieure, comme cet exil intérieur auquel semblent voués – mais pas toujours contre leur gré – ces autochtones anonymes, conjurateurs discrets que Jean-Paul Kauffman croise, rencontre même, en remontant à pied la Marne. Et là, au cœur du pays perdu, retrouver la source première et toujours fraîche.

Jean-Luc Coatalem, Nouilles froides à Pyongyang, Grasset, 2013, 238 p., 17,60€

Jean-Paul Kauffman, Remonter la Marne, Fayard, 2013, 264 p., 19,50€