Si la lecture de Christopher Lasch en langue française était encore réservée au tournant du siècle à quelques happy few, son actualité éditoriale – traductions, éditions et rééditions – témoigne d’un intérêt croissant pour l’œuvre de ce penseur inclassable. Et c’est heureux. Après les grands classiques laschiens, La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, et La Culture du narcissisme, qui ouvraient une brèche inédite dans l’autocélébration de la gauche de pouvoir « libérale-libertaire », ou encore l’essai acéré Culture de masse ou culture populaire ?, ce sont des œuvres à la fois plus fondamentales et plus inattendues qui ont rencontré leur public francophone : Le Seul et Vrai Paradis : Une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques, manière de somme politique à travers l’étude des traditions populistes américaines, toujours liées aux courants populaires religieux – chrétiens, cela s’entend ; ou encore Les Femmes et la vie ordinaire : Amour, mariage et féminisme, recueil d’études sociologiques passant au crible de la critique les évolutions des relations conjugales et les avatars du féminisme comme intégration des femmes et par là même du travail informel et de toute l’économie domestique à la sphère marchande.

Comme en témoignent les évolutions « sociétales » contemporaines, Lasch démontre à travers ses œuvres que le libertarisme moral est le pendant systématique du libéralisme économique, de l’individualisme social et du narcissisme psychique. Et la famille, qui est au centre de toutes ces revendications et mutations, ne pouvait échapper au regard de l’historien et sociologue, qui y a consacré son autre grande « somme » que les lecteurs peuvent enfin lire dans la traduction de Frédéric Joly, introducteur de Lasch en France : Un Refuge dans ce monde impitoyable : La famille assiégée. Lecture on ne peut plus actuelle !

A signaler, une traduction d’une conversation très « antimoderne » entre Christopher Lasch et Cornélius Castoriadis, éditée par les soins du philosophe Jean-Claude Michéa, autre grand laschien, sous un titre significatif : La Culture de l’égoïsme.

Christopher Lasch, Un Refuge dans ce monde impitoyable. La famille assiégée, François Bourin Editeur, 2012, 416 p., 26€

Christopher Lasch & Cornélius Castoriadis, La Culture de l’égoïsme, Climats, 2012, 104 p., 10€