« On vous menace dans la mémoire de vos pères, dans l'âme de vos enfants, dans votre dignité de chrétiens ; ah ! lorsque parlèrent les nabis, le temple matériel de bois et de pierre seul était en danger, on ne menaçait que vos foyers, que votre vie!... Aujourd'hui, on veut fermer le chemin de la Jérusalem céleste, on s'efforce à vous barrer le salut éternel, vos âmes sont en péril : Soldats du Dieu vivant, défendez votre foi !

Une loi scélérate, qui ne fut pas abrogée parce qu'elle tombait d'elle-même avec les hommes néfastes qui l'avaient élaborée, une loi infâme surgit ressuscitée par les nouveaux sans-culottes. Ainsi, du même coup, la liberté de l'individu et celle des consciences sont foulées aux pieds.



Lorsque l'empire romain s'écroula sous la putrescence de ses vices, cette mer des Barbares déroulait ses lames dévastatrices sur l'univers ; tout le patrimoine humain périssait, l'humanité allait perdre ses titres, cinq mille ans de pensée, d'art et de science.

En ce déluge, le Moine fut Noé et le Couvent fut l'Arche ; là furent sauvés les monuments inestimables, les œuvres d'art, les livres sans lesquels nous ne serions nous-mêmes que des Barbares. Après la tourmente, au milieu des débris, qui ensemença la terre, qui défricha les âmes ? Plus tard, quand la société chrétienne prit sa forme vivante, qui donc fut le défenseur du faible contre le fort, le représentant de la science devant le brutal chevalier ?

Enfin, à qui devons-nous ces mœurs si policées, cette littérature incomparable, ce prestige universel, cette honnêteté légendaire, sinon à ces moines qui, après avoir sauvé les restes du passé, édifièrent de leurs mains augustes toutes les splendeurs de la civilisation, et élevèrent tous ceux que nous appelons des génies?

Eh bien, mes Frères, après tant de siècles de dévouement et de sensible lumière, les descendants des Basile, des Benoît, des Bernard, des François d'Assise et des Ignace se voient frappés d'une parole ridicule : « Vous n'êtes pas autorisés. »

Voyez-vous ce petit avocat, ce misérable député qui représente dix mille ivrognes, et qui dit à douze siècles de gloire : « Vous n'êtes pas autorisés.»

En quel temps vivons-nous, et l'an deux mil va- t-il finir de ce monde? Ces religieux qui ont été les éducateurs de tout ce que l'Occident a produit de sublime, ces religieux qui n'ont été dépassés que par les élèves qu'ils avaient formés, — les voilà déclarés incapables de continuer un office où ils ont donné les preuves les plus renouvelées et les plus magnifiques!

L'Etat, désespérant de corrompre et d'amener au blasphème une société élevée par les moines, a conçu le plus abominable des projets : impuissant à ôter Dieu du coeur de l'homme, il veut lui fermer le cœur de l'enfant. Ah ! mon indignation n'est pas faite de la vivacité du moment; je médite et j'évoque toutes les aberrations humaines; en fouillant la poussière des histoires, en remuant la cendre des siècles, je ne découvre rien qui ressemble à cet attentat prodigieux : l'éducation laïque.

Ce que l'expérience humaine trouve, hélas ! à tous les instants de sa recherche, c'est la lutte entre deux fanatismes, le heurt de deux religions. Jamais, entendez-le, jamais, depuis qu'il y a des hommes sur la terre et qu'ils ont laissé des annales, jamais cette abomination ne s'était vue : fermer à Dieu le cœur de l'enfant.

Votre devoir a-t-il besoin d'être formulé? Vous devez votre vie aux moines; vous devez défendre jusqu'au dernier souffle l'éternité de vos enfants. Ne soyons pas dupes des apparences légales qui couvrent ce forfait : vous avez vu comment en s'emparant du télégraphe et de l'imprimerie nationale, le dernier Bonaparte a pu réaliser son usurpation. Aujourd'hui ce sont quelques factieux qui prétendent agir en votre nom, au nom du peuple.

Si la résistance aux décrets est individuelle, isolée, elle n'aboutira qu'à des condamnations en police correctionnelle, sans fruit aucun. Il est nécessaire qu'une entente se fasse d'un bout du pays à l'autre; il est également nécessaire que les notables soient à votre tête. Ce n'est pas une sédition que je veux fomenter, mais une levée de consciences, un imposant mouvement de l'âme catholique et française.

Les avocats, ces assassins de la vérité, ces saltimbanques de la parole, viendront avec leur Code vous conseiller, et surtout chercher à tourner votre infortune au profit de leur clientèle. Les politiciens, ces factieux, déprédateurs de la Tradition, vous apporteront le concours de leur seule ambition. Refusez, refusez d'ouvrir vos rangs à ces traîtres.

Il n'est pas question aujourd'hui du trône, de la vie sociale : il est question de Dieu même et de la vie éternelle. »

C'était il y a cent dix-huit ans.