Je crois que les socialistes auraient beaucoup d'enseignements à tirer de la conquête chrétienne. Et j'espère traiter un jour ce sujet au point de vue de la connaissance qu'il fournit pour la lutte des classes. En méditant sur les premiers siècles chrétiens, les socialistes pourraient voir comment s'écroule un vieux monde, comment s'en crée un nouveau, et comment les adeptes de ce nouveau monde ont contribué à l'effondrement de l'ancien en refusant tout compromis avec lui. Le monde a été frappé de la victoire que le christianisme remporta aux premiers siècles de notre ère, sur des tendances qui semblaient devoir emporter le monde antique vers un syncrétisme religieux. L'oeuvre de Tertullien, nous montre que des hommes passionnés poussèrent jusqu'au paradoxe la thèse de scission idéologique; on les a traité parfois d'insensés et ils acceptaient facilement que la doctrine chrétienne fût regardée par une folie par les païens; mais ce sont ces insensés qui ont mis le christianisme en état de triompher. Les premiers chrétiens furent des exemples de "scission idéologique", et c'est de leur exemple que les travailleurs doivent s'inspirer en opposant à la classe bourgeoise la même intransigeance dont surent faire preuve ceux que Celse dénnonçait comme de mauvais citoyens. Il faut continuellement rappeller aux esprits le principe de la scission.

Il y a des affinités remarquables entre l'activité des ordres religieux et celles des syndicats révolutionnaires.

Georges Sorel, Préface à une oeuvre nouvelle, 1910.