Les révolutionnaires conservent l’esprit de la révolution par le sens de l’histoire, mais leur ennemi le plus farouche est devenu la rue. Et celle-ci est soudainement envahie par ceux qui n’aiment pas la prendre. La roue tourne. Les cartes sont redistribuées. La donne a changé. La génération d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. 1968 est à la retraite. Et cette génération s’est tellement battue pour ses petits intérêts que, ces derniers désormais acquis, il est inutile d’en faire plus. L’égoïsme et la paresse ont eu raison de ces citoyens. Ils comptent ces sous que des multiples grèves illégitimes ont permis de conserver, des sous que nous paierons et dont nous ne profiterons jamais. Aujourd’hui, ils dorment. Le pouvoir est soutenu par des dormeurs. Il a l’appareil d’Etat, mais des citoyens ensommeillés, tandis que nous nous réveillons.



Le culot de Voltaire et la subtilité de Saint Thomas d’Aquin

Nous sommes une minorité ? Une minorité qui mobilise plus d’un million personnes dans les rues de Paris, sur un seul et même sujet, sans avoir encore fait converger les multiples frustrations qui caractérisent aujourd’hui le peuple de France. La loi est passée ? Nous avons perdu ? Mais, êtes-vous fous ? Nous avons déjà gagné. Nous avons associé la plume de Voltaire à la pensée de saint Thomas et nous aurions perdu ? Nous avons interpellé la population française sur des questions anthropologiques clés en pleine crise économique, politique, sociale et institutionnelle et nous aurions perdu ? Nous avons soulevé des questions philosophiques compliquées à une génération en panne d’inspiration intellectuelle, à une élite en déclin et nous aurions perdu ? Nous avons réintroduit le débat droit naturel/droit positif, l’éternel débat des classiques contre les modernes, celui que tous croyait désuet, et nous aurions perdu ? Sur Internet, les plumes se succèdent, de plus en plus compétentes, les meilleurs savoirs s’imbriquent et nous aurions perdu ?



L’affolement médiatique

Vous regardez les médias et vous pensez avoir perdu ? Mais êtes-vous devenu fous ? Soyez un peu compréhensifs, comprenez-les, les médias. Nous sommes en train de désarçonner l’élite, les journalistes du grand Paris en font partie, et vous voudriez qu’ils disent officiellement à l’antenne que la population dans la rue qui mettra fin à leur carrière manifeste en masse d’une façon historique. C’est comme demander à Louis XVI d’annoncer officiellement la fin de la monarchie, dès 1789. Un général dit-il à ses soldats qu’il a perdu la bataille, même s’il en est persuadé ? Ne vous énervez pas du traitement médiatique de votre mouvement, du comportement des journalistes, riez et ayez un peu d’empathie. Ils n’ont pas été formés à la réalité d’aujourd’hui. Au temple, à l’Institut d’Etudes politiques de Paris, ils ont été éduqués comme si le mur de Berlin n’était pas encore tombé. Ils ne connaissent que Paris. Pour eux, la France, c’est Paris. Quittés la Porte d’Italie, c’est l’étranger. Vous êtes des étrangers pour eux, vous, cet agrégat de bourgeois provinciaux, la classe moyenne supérieure, celle qui fait vivre le pays, anciennes professions libérales ou chefs d’entreprise à la retraite, qui après tant d’années de labeurs, peuvent enfin battre le pavé, à l’inverse des petits fonctionnaires pépères, qui l’ont tellement battu qu’aujourd’hui ils comptent leurs sous et ils dorment. Vous êtes des étrangers pour eux, vous, la jeune génération formée par celui qui fit justement tomber le mur, celui qui nous a plongés dans cette nouvelle configuration du monde, politique et idéologique, celui qui a permis la renaissance d’un débat suranné : Jean-Paul II. Riez, surtout, riez, parce que les médias se plantent, mais comme jamais ils se sont plantés depuis qu’on leur a offert la liberté d’expression. Ils racontent leur histoire, peut-être, mais nous aussi nous racontons la nôtre et Dieu nous montre comme elle a plus de valeur.



Une élite en panne

Vous observez la réaction du pouvoir, et vous vous mettez en colère, vous les traitez de despotes. S’ils étaient des despotes, nous serions des résistants armes à la main. Mais enfin, encore une fois, décolérez et riez. Un gouvernement acculé fait rire. Comprenez-le. Il vit dans l’état d’urgence. Il pense à court terme. Le train est à l’arrêt. Alors, il ferme ses rideaux et le secoue pour simuler un état de marche, parce qu’il se persuade qu’il va redémarrer dans le sens de l’histoire. Le mariage pour tous fait partie de cette auto-persuasion. Cette loi est son starter, comme toutes les lois sociétales mises en place depuis la loi Neuwirth en 1967. Mais rien n’y fait. Le train est toujours à l’arrêt. La mondialisation libérale resserre ses bras et l’étouffe. Aucune perspective sociale en vue, ni cohérence économique, aucun projet à long terme. Aucun souffle. Vous avez devant vous une élite en dépression, et vous êtes en colère. Un peu de compassion tout de même et dites-vous plutôt : « Nous vous comprenons ; vous n’y tenez plus ! Nous allons vous aider et vous remplacer ». Bien-sûr l’élite nie l’impact du mouvement, que peut-elle faire d’autre ? Comprenez-la. Elle voit une classe moyenne dans la rue plus compétente qu’elle. Dans sa tête, que se dit-elle ? Elle se dit qu’elle va la perdre, sa tête, voilà tout. Que fait le pouvoir ? Il appelle ses conseillers en communication pour tenter de comprendre les phénomènes de masse du 13 janvier et du 24 mars. Mais ces conseillers font partie de la même élite issue des mêmes formations : ils font des sondages, transmettent aux médias qui transmettent au peuple et rassurent le pouvoir. La réalité est renversée. Et la boucle est bouclée. Les pauvres. Vous voudriez que l’élite ait une vision du réel qui ressemble à la nôtre ? Mais réjouissez-vous de sa schizophrénie. Demain, elle se réveillera avec une sacrée gueule de bois et ce jour-là, elle sera sur le quai, tandis que vous aurez redémarré la locomotive.



La fin du sens de l’histoire

Vous êtes persuadés que tout ce trésor de la philosophie du sens de l’histoire qui offrait à Christiane Taubira de quoi briller sur la tribune de l’Assemblée nationale, l’a encore emporté. Il comble de biens les députés, mais certainement pas les affamés. Faites un tour de magie et téléportez la ministre de la justice au cœur de l’Ardèche pour la charger de convaincre un éleveur isolé du bien-fondé de sa philosophie hégélienne et marxiste pour justifier le mariage pour tous. Elle et son verbe, lui et ses brebis et ses bûches qu’il tranche pour préparer l’hiver, pas forcément hostile à ce mariage d’ailleurs, lui, un peu écologiste, mais un peu décroissant tout de même, un peu suspicieux car convaincu que la nature des choses vaut quant elle demeure, que les monts ardéchois le protègent. Un homme de bon sens. Jouant le jeu, Christiane s’inculture de l’ambiance, cherche une légitimité historique nouvelle à son argumentaire. Elle lui parle des Camisards, de leur révolte contre l’Eglise catholique et son Etat complice, première étape pour lui parler du sens de l’histoire à cet homme si bien enraciné. De cette lutte pour l’égalité des cultes s’en sont succédé bien d’autres, cette quête pour l’égalité entre les hommes qui conduit inéluctablement au Progrès. Elle a conduit à la Révolution française, à toutes les révolutions. Les camisards, lui dit-elle, vos héritiers, nous ont conduits à cette terre d’égalité, ils ont participé à ce processus d’émancipation qui fait le sens de l’histoire, qui fait qu’aujourd’hui, nous n’avons jamais autant été plus égaux et que demain, nous le serons encore plus. Mieux qu’hier et moins que demain ?, interroge alors l’éleveur. Son grand-père, résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale, faisait donc aussi partie de cette lutte pour l’émancipation ? Oui, répond-elle avec l’assurance de l’avoir convaincu. Comme les homosexuels aujourd’hui vont pouvoir se marier ? Donc, s’il comprend bien, son grand-père s’est émancipé de l’occupant allemand ? Oui. Donc l’occupant allemand s’est émancipé des Français. Et puis d’une certaine manière, Hitler s’est émancipé des Juifs avant que ces derniers ne s’émancipent de lui. Les Juifs avaient donc raison, mais Hitler aussi. Raison hier, coupable demain. Après tout, Hitler aussi croyait au sens de l’histoire. Disons, répond Mme Taubira, qu’il s’agissait d’une mauvaise parenthèse à jeter dans les décombres de l’histoire. Comme la Première Guerre mondiale alors, comme le communisme, comme la Bosnie-Herzégovine, comme les machettes du Rwanda, comme la Corée du Nord ? Eh bien oui, c’est ce mal nécessaire au bon déroulement du schéma dialectique du progrès. D’accord, mais comme ces parenthèses historiques sont nombreuses. Autrement dit, il a fallu inventer le sens de l’histoire pour que le monde voit se développer les pires régimes que l’histoire n’ait jamais portés ? Enfin non, exhorte-t-elle, il y a eu l’Eglise et de celle-ci nous nous émancipons encore. Oui, mais le bûcheron s’en fout bien un peu de l’Eglise. Disons que lui, le seul sens de l’histoire qu’il voit est l’augmentation de plus en plus tragique de la violence sur toute la surface du globe. Et puis, lui répond-il, si les opposants à votre mariage gagnent, le sens de l’histoire changera en leur faveur, et dans ces cas-là, ce sont eux qui s’émanciperont de vous. C’est pour cela que cela ne doit pas se produire, objecte-t-elle. Malgré tout, pour l’homme et ses brebis, ce sens de l’histoire lui paraît bien relatif. Ce qu’il sait, c’est qu’il doit couper du bois pour l’hiver et il l’invite à en faire de même avant que ce soit les homosexuels eux-mêmes qui lui tranchent la tête pour se nourrir. Et l’éleveur se remet à son labeur. Je crois personnellement, que, depuis la chute du Mur de Berlin, du sens de l’histoire nous nous sommes émancipés. Cette certitude vient de cette tendance générale qui nous fait comprendre que nous avons quitté l’ère de la modernité pour ce concept encore flou de la postmodernité. Je ne sais pas où ce dernier nous mènera, mais le mouvement spontané de ces derniers mois prouve que nous avons notre rôle à jouer. Ce rôle est simple : quel que soit l’histoire, quel que soit son sens, son orientation, son inclinaison vers le bien ou le mal, nous devons proposer une boussole, marquer des repères fondamentaux, offrir un parchemin sur lequel sera décrite la nature anthropologique de l’être humain, son essence. Plus que les droits de l’homme, mais la définition de la nature humaine. La lutte contre le mariage pour tous n’était qu’un galop d’essai. Ce rôle nous est dévolu, il est certain, il est pour bientôt.



Pierre Mayrant

Itinerarium