Babylone ne fut pas la cité du sens mais celle de l'ivresse. En substituant la recherche du bonheur à celle de la vérité les hommes deviennent identiques dans leur être et mimétiques dans leur comportement. Voilà une équation sur laquelle je m'interroge depuis longtemps. Vous en avez été les témoins à plusieurs reprises. Nous rejoignons ainsi le thème du consumérisme et l'alternative entre l'être et l’avoir. Dans son livre « Babel et le culte du bonheur » Philippe Plet1 en arrive à la conclusion que l'on retrouve ainsi l'une des caractéristiques des idéologies totalitaires soulignées par Hannah Arendt : « le but de l'éducation totalitaire n'a jamais été d'inculquer des convictions mais de détruire la faculté d'en former aucune ».

Comme par extraordinaire, le totalitarisme, le relativisme et le discernement sont comme le triptyque missionnaire des trois derniers papes que l'Eglise catholique nous a donnés. L’Eglise, cette institution bimillénaire stigmatisée pour son dogmatisme et son immobilisme qui vient de surprendre le monde entier à deux reprises en l’espace de quelques semaines ; avec la démission inattendue du pape Benoît XVI tout d’abord et ensuite avec l'élection surprise du pape François. Ce qui me remémore des vers de Guillaume Apollinaire qui n'est pas un docteur de l'Eglise, loin s'en faut…. écrits en 1913 dans son recueil Alcools :

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X.

À quoi tient cette étonnante modernité ?

Référons-nous aux premiers messages de ce nouveau pape « venu du bout du monde » que les Romains et les chrétiens se bousculent pour venir écouter sur la place Saint-Pierre ; car les journalistes s'accordent à reconnaître que l'on n'avait pas vu autant de monde à l'occasion des élections des précédents papes. La foule se bouscule pour venir entendre ce Pape parler avec un sourire qui est l’expression de la vraie joie et de l’espérance, mais qui sait aussi appeler un chat un chat. Les mots avec lesquels il a tancé les 115 cardinaux qui venaient de l'élire, les invitant à prendre la Croix pour ne pas être des clercs mondains, et a osé citer Léon Bloy « qui ne prie pas le seigneur Jésus-Christ prie le diable » n'ont pas arrêté cette foule curieuse, admirative et assoiffée. Le diable ! Au XXIe siècle ! Comment expliquer cette singulière fascination que je crois, nous avons tous éprouvés? Que se passe-t-il?

Derrière la bonhomie de celui qui est déjà le Pape des pauvres se cache ou plutôt resplendit une fulgurance capable de mettre le doigt sur l'essentiel que nos circonvolutions modernes et relativistes font tout pour éluder. Une fulgurance qui est le fruit du discernement propre aux jésuites. C'est la première fois que l'Eglise est confiée à un membre de la compagnie de Jésus. Ces fils spirituels de Saint Ignace de Loyola dont la marque de fabrique est le discernement. Discerner le bien du mal. Ce discernement que notre monde refuse au nom du relativisme. C'est en cela que nous retrouvons l'héritage de Babel et le message de l'Apocalypse de Saint-Jean. Il fallait que soit martelée la doctrine fallacieuse du relativisme destructeur pour que vint ensuite celui qui allait ensemencer !

La croix signe du refus du monde, la pauvreté, idéal pastoral, NSJC plutôt que Satan, la miséricorde infinie de Dieu, parce que juger n’est pas condamner…. Il parle comme le Christ, comme François d'Assise et comme François de Sales, avec des images, par des paraboles. Des mots simples qui vont droit au cœur et qui disent tout. Et ce n'est qu'un commencement…

Ce pasteur va conduire ses brebis sur les chemins du Christ. Il ne renoncera à rien de la doctrine de l'Eglise. Il va par contre nous inviter à nous débarrasser de tout ce qui nous alourdit, de tout ce qui nous retient, de tout ce qui nous attache, de tout ce qui nous empêche d'être les témoins dont notre temps a besoin. Il va dénoncer tous les prétextes, tous les faux-fuyants, tous les mauvais alibis, toutes les vaines justifications. Il va nous aider à comprendre comment nous pouvons être les lumières qui jalonnent la route que les hommes de bonne volonté et de bien ne retrouvent plus.

Le débat sur le mariage en faveur des homosexuels dans lequel notre nouveau Pape s'est opposé à la présidente de la république d’Argentine illustre la force et l’acuité de ce discernement. J'ai clôturé une récente intervention à l'occasion d'une réunion publique sur la réforme française du mariage dit pour tous en rappelant que le combat mené par ses opposants est de même nature que celui d'Antigone et qu'il est aussi et surtout le même que celui qui a conduit saint Jean-Baptiste puis Saint-Thomas More à la décapitation parce qu'ils refusèrent l'un comme l'autre l'injure faite au mariage en tant que loi naturelle. Encore cardinal notre Pape François s'exprimait pour sa part en ces termes : « Ne soyons pas naïfs : il ne s'agit pas d'un simple combat politique : c'est le projet de détruire le plan de Dieu. Il ne s'agit pas d'un simple projet législatif (celui-ci est seulement un instrument), mais une « movida » du père du mensonge qui prétend embrouiller et tromper les enfants de Dieu ». Le décor est planté ! Le XXIème siècle commence…

Modernité et discernement, Bernard Hawadier