L'Histoire ne se souviendra pas de nous
Se souviendra-t-elle de quelque chose au moins, cette Histoire que Muray pensait finie ? Le site du Nouvel' Obs' nous a gratifié il y a quelques jours d'un article bien pompeusement intitulé « Mariage gay: entre affiches haineuses et menaces, Frigide Barjot et les "anti" dérivent». Cet article, risible comme aucun autre, appelle une réponse bien sentie tant la mégalomanie de son rédacteur se fait sentir. Sa bêtise fait peine à lire, et c'est par obligation que le pauvre anti-mariage-pour-tous que je suis se décide à prendre sa plume pour le renvoyer dans ses filets. Outre le fait que le temps de lecture de l'article est mentionné (deux minutes, fast-food informationnel en somme), l'auteur de cette petite pige, Giuseppe Di Bella, y est présenté d'une bien drôle de manière: « Historien, citoyen engagé ». D'emblée le ton est donné, l'auteur est un citoyen. Son papier l'est aussi, et sa vision citoyenne ne peut être remise en cause que par la horde terrible des barbares liberticides que nous sommes. Béni soit ce substantif, nouvel imprimatur du monde moderne ! Mais ne nous laissons pas avoir par cette petite manipulation, l'usage de ce mot est bien inutile et notre bienheureux citoyen Di Bella l'est tout aussi que moi. Cette volonté partisane et intolérante n'a qu'un but: appuyer le bien fondé de la pensée de l'auteur. Ce n'est rien de plus qu'un label de bonne moralité, d'humanisme et de tolérance. L'homme en fait décidément trop, et déjà, sans avoir commencé les premières lignes, le lecteur de bon sens comprend qu'il a affaire à un être buté avec lequel tout débat est impossible.
L'article est une charge contre le mouvement de la Manif' pour tous, tout ce qu'il y a de plus courant dans les vagues de l'internet médiatique de ces quelques dernières semaines, notre ami Giuseppe ne fait donc pas du tout dans l'original. Il accuse notre porte-parole Frigide Barjot de ne pas respecter la loi et de vouloir s'installer pour une durée indéterminée sur les Champs jusqu'à ce que notre parole soit entendue par les dirigeants qui nous gouvernent et nous méprisent considérablement depuis le début de notre mouvement. Que lui répondre, sinon que cette transgression de la loi, qui n'est pas non plus criminelle, s'avère une nécessité dans une démocratie qui n'en porte plus que le nom ? Pendant près de cinq mois nous nous sommes bornés à respecter la loi et à inscrire notre mouvement et notre démarche dans la légalité. Pendant cinq longs mois nous avons été raillés et méprisés de toutes parts par une minorité qui n'a reculé devant rien pour saboter et marginaliser notre action. Pourquoi n'aurions-nous pas le droit, nous aussi mon cher Giuseppe, d'user de la désobéissance civile jadis théorisée par Thoreau. Vous n'avez pas le monopole de la contestation et des manifestations. Nous contestons cette société qui chaque jour s'enfonce encore plus dans les obscurités d'un égalitarisme liberticide et pourvoyeur du communautarisme. Nous contestons aussi cette société qui plie genoux sous le joug du divin Marché qui n'a de cesse de vouloir régir le moindre mécanisme de nos vies humaines. En soutenant ce projet de loi vous participez à l'asservissement de l'individu par l'ultra-libéralisme et vous vous faites le complice de l'argent. Je te vois déjà venir avec tes airs outrés, choqué sans doute de te faire accuser pareillement, toi le citoyen irréprochable. Pourtant tes petits amis qui manifestaient les 16 décembre et 27 janvier semblent l'avoir parfaitement intégré - inconsciemment j'ose l'espérer - puisqu'ils osaient écrire sur leurs pancartes que leurs listes de mariage relanceront l'économie.
Ce qui nous amène naturellement à la seconde accusation que tu nous fais, celle concernant nos slogans et affiches, que tu considères haineux et laids. C'est ton appréciation et nous la respectons pour ce qu'elle vaut, autant dire pas grand chose. Mais permets-moi, Monsieur Di Bella, de t'expliquer que nous ne prétendons pas inscrire notre mouvement dans la beauté de nos pancartes, car il n'y a rien de sublime dans la défense du bon sens que nous osons proclamer. Nous ne devrions même pas manifester contre ce projet de loi fou car il n'a pas lieu d'être et ce n'est pas de gaieté de cœur que nous le faisons, bien au contraire. La mocheté de nos affiches ne fait qu'illustrer la laideur des motivations réelles qui sous-tendent ce projet de loi et la réalité telle qu'elle est. Ces mères porteuses en batterie, ces enfants étiquetés ce ventre féminin code-barré et ce pauvre bébé qui réclame sa traçabilité à l'instar du bovin de l'industrie alimentaire qui provoquent un malaise chez vous - et heureusement car cela prouve qu'il vous reste un peu d'humanité - ne font qu'illustrer la marchandisation des corps vers laquelle nous nous dirigeons inexorablement.
Si seulement Giuseppe en restait là... Mais non, le voilà qui, plus ardent encore, s'en va chercher dans les profondeurs ténébreuses de ses fantasmes nauséeux une raison plus vivace de nous détester. Le voilà plein de fiel dégoulinant, crachant son immonde haine de ce que nous sommes, nous accusant tous d'être de la haute, de venir de ces villes dorées (surtout dans son imaginaire atrophié) que sont Versailles et Neuilly. Non mon cher Giuseppe, nous ne sommes pas tous comme tu l'imagines. Il y a dans nos rangs des gens qui mènent un train de vie bien moins mondain que le tiens. Tu t'insurgeais il y a peu que nos impôts serviraient à financer Civitas, chose qui m'étonnerait fortement d'ailleurs, et tu refuses aux autres le droit de s'indigner du financement de tous vos groupuscules pro-LGBT (qui desservent bien souvent la communauté homosexuelle), groupuscules qui parfois s'approchent plus de la cellule terroriste comme en témoigne l'agression violente d'un prêtre dans la nef de la Cathédrale Notre-Dame il y a quelques années.
Mais ce qui m'intéresse le plus mon cher, c'est la menace par laquelle tu oses conclure ton propos. «Vous risqueriez d'être précipités dans les poubelles de l'Histoire» nous dis-tu. Surprenante phrase, d'autant plus lorsqu'elle vient de la plume d'un homme qui se prétend « historien ». C'est donc cela un historien ? Un homme qui se soucie si peu de la vérité et qui selon ses envies jette les morceaux de l'Histoire qu'il ne saurait pas digérer ? Un chirurgien qui amputent les organes qui lui semblent malades pour ne garder que ce qui lui paraît sain et schématiser ainsi l'Histoire selon un manichéisme réducteur ? Ces historiens ne le sont que de nom. Ils ne peuvent prétendre servir l'Histoire et ne sont que les chiens de garde d'une idéologie destructrice et perverse. Nous vient à l'esprit ces prétendus historiens qui anathémisent certains acteurs historiques sous le fallacieux prétexte qu'ils ont un temps frayé avec divers mouvements mal considérés à l'instar de l'Action Française. Ces mêmes historiens qui oublient bien trop facilement les propos de Jean Jaurès qui lui valurent l'exclusion de la Chambre en 1894 sur la «bande cosmopolite qui nous gouverne». Propos qui puent l'antisémitisme à plein nez et qui devraient nous pousser à débaptiser toutes les rues qui osent porter son nom infâme ! Tu vois vers quelle logique ta stupidité nous mène ? Mais je vais te dire quelque chose qui te fera plaisir, car oui, tu as raison, la Manif' pour tous finira dans les poubelles de l'Histoire. Mais toi aussi tu seras jeté dedans, comme nous tous. Il n'y a plus d'Histoire. Il ne reste plus que la fête. La fête sans limite. Le triomphe de Festivus Festivus. Ce que l'avenir retiendra ? Le festivisme. Rien de plus.
Nous ne manifestons pas pour inscrire nos noms dans l'Histoire, nous ne sommes pas comme toi qui est avide de célébrité, nous manifestons pour le présent et pour notre futur proche. Nous manifestons pour que le demain apocalyptique qui s'annonce ne surgisse pas trop tôt. Nous savons déjà que le combat est perdu d'avance. Mais qu'importe, nous agissons. Tu n'as de cesse de frapper à travers ta prose vomitive l'Eglise. Es-tu conscient que ce que tu frappes à longueur de journée est un vieillard agonisant ? Prends-tu conscience de ta lâcheté ? De même, tu traites notre porte-parole, Frigide Barjot, d'opportuniste. C'est sans doute parce qu'elle est humoriste, tu ne vois pas en quoi la question du mariage pour tous la concerne. Au contraire, c'est cela qui fait sa force et qui donne du sens à notre mouvement. Les manifestations sont devenues de véritables fêtes avec musique techno, ballons de baudruche et danses en tout genre, d'où le très bon mot de Muray qui parle de manifestivisation. En se plaçant sous le patronage de Frigide Barjot, sur laquelle plane également l'ombre de son mari, nous donnons à ce caractère manifestif une dimension ironique qui le rend plus fort. Nous dénonçons plus qu'une loi, nous dénonçons un système tout entier. Nous nous approprions ce que vous pensiez détenir exclusivement. La contestation n'est pas le joujou des homosexuels qui se complaisent dans leur rôle de victimes ! Nous vous laissons au moins votre fierté qui vous permet de festiver votre sexualité chaque année, c'est déjà cela !
Pour ces raisons je serai présent à la manifestation du 24 mars. Je ne marcherai pas contre l'homosexualité, mais une chose est certaine, je manifesterai contre les gens comme toi qui, par leur haine manifeste et leur pseudo-tolérance intolérante, ne méritent que le mépris.
Alexis Judet