L'ouvrier cordonnier Jean-Jacques Liabeuf (1890-1910) restera un des criminels les plus étonnants du début du XXe siècle. Un sentiment particulier de l'honneur, un sens quasi-sacré de la justice le conduisirent à l'échaffaud.

Condamné en août 1909 à trois mois de prison, cent francs d'amende et cinq ans d'interdiction de séjour pour proxénétisme alors qu'il était innocent de ce délit, Il jura de se venger des agents de la brigade des moeurs qui l'avaient faussement accusé. Le 9 janvier 1910, bravant l'interdiction de séjour, il se pavana rue Aubry-le-Boucher, où tout le monde le connaissait, attirant volontairement l'attention des policiers de service. Ceux-ci voulurent l'appréhender. Mal leur en pris: il se meurtrirent douloureusement les mains sur les brassards hérissés de pointes d'acier que Liabeuf avait fixés sur ses avant-bras et ses biceps, et qu'une pèlerine dissimulait. Au cours de la rixe qui suivit, Liabeuf à coups de couteau et de revolver, tua un agent et en blessa six autres.

Aux Assises il déclara: " J'ai été condamné comme souteneur, mais je ne suis pas un souteneur. J'ai été, à la suite de cette condamnation, interdit de séjour. Eh bien ! A cette peine infamante, je préfère la guillotine ! " Condamné à mort, il accueille le verdict par ces mots: " Si vous m'avez condamné c'est comme assassin et non comme souteneur. Devant la veuve et jusqu'à la dernière goutte de mon sang, je protesterai de mon innocence. "

Son exécution, le 30 juin 1910, donna lieu à de puissantes manifestations ouvrières. Cependant qu'il montait à l'échafaud, service d'ordre et manifestants se battirent rue Broca, rue du faubourg Saint-Jacques et jusqu'à la place Denfert-Rochereau, aux cris, mille fois répétés par les manifestants, de : " Vive Liabeuf ! ". Ce dernier, indifférent à tout ce vacarme, poursuivant son idée fixe, mourut en criant: " Je ne suis pas un souteneur ! ".

D'après Léo Malet, Guide de Paris mystérieux, Tchou, 1966.