L'homme aliéné vit dans un temps mort, il n'y a plus pour lui d'histoire. L'historicité qui se fige bloque tout devenir, toute ouverture à un avenir, c'est-à-dire à un temps autre. En un mot l'existence ne s'advient plus, son présent n'ouvre sur rien d'autre que soi parce que demain a le visage d'aujourd'hui et ne fait que répéter un hier indéfini. La psychose maniaque ou la schizophrénie donnent l'image d'une temporalité pétrifiée et morte, mais déjà aussi toute expérience sourde à l'espoir, pour qui le maintenant est le seul réel et qui ne peut même pas imaginer aucun dépassement du hic et nunc, aucun "transcendement", pour parler comme Nicolas Berdiaev. L'existence sans espoir est résignation. Qui en souffre demeure disponible à une ouverture ou a un changement, qui a fini d'en souffrir subit passivement. Dans la résignation la personne meurt.

François Chirpaz, De l'aliénation, Esprit, mai 1966.