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« Les enchères sur de nombreuses œuvres modernes et contemporaines, la sophistication des musées, l’importance des « installations » montrent combien les arts plastiques ont parfois valeur quasi cultuelle et sont, aux plus riches ou aux plus snobs d’entre nous, ce que sont au vulgum pecus les grandes surfaces commerciales de glace, de marbre et de dorures kitsch qui encerclent désormais les villes de l’Occident consumériste : de nouveaux temples. »
(Olivier-Thomas Venard)

Dès le départ, le christianisme a à voir avec l’art. De par son origine judaïque, d’abord, où Béçaléel au désert fabrique la « Tente du Rendez-vous » selon les canons dictés par Dieu à Moïse. Et, surtout, de par l’épiphanie divine du visage du Christ – qui lève l’interdit vétérotestamentaire de la représentation de Dieu. « Le Fils est le visible du Père et le Père l’invisible du Fils. » (Saint Irénée de Lyon)

Si ce n’est le début de l’art sacré, de l’art liturgique, l’Arche d’Alliance et le Temple de Salomon en étant des paradigmes, c’est celui de l’art chrétien – ou, pour mieux dire, christique, eucharistique. Saint Grégoire le Grand recommandait l’art pictural pour diffuser les Saintes Ecritures : « Pictura, quasi Scriptura. » L’on sait d’ailleurs combien les églises contiendront de scènes tirées des apocryphes…

Si l’homme est artiste, c’est qu’il est intimement lié à l’art, lui même œuvre d’art – davantage que le reste de la création ex nihilo : « L’homme est le seul être créé à partir d’un peu de matière, de terre, elle-même tirée du néant. La venue de l’homme sur terre est le moment artiste de Dieu », remarque Maximilien Friche. Dès lors, le premier art de l’homme est d’achever l’image dans la ressemblance : « De même que nous avons porté l’image du terrestre, portons aussi l’image du céleste. » (1 Cor 15, 49)

Ainsi, pour la pensée antique et catholique, la vocation de l’art est de mener plus loin que lui, c’est sa vocation métaphysique, religieuse : « La beauté est un pressentiment du ciel. » (Saint Odon de Cluny) ; « et ainsi, nous dit Geneviève Trainar, dès que la dimension épiphanique d’une œuvre enveloppe et excède sa dimension esthétique, il y a liturgique dans l’art, fût-il absolument non-confessionnel. »

« Dans toute œuvre d’art véritable, il y a un point où celui qui s’y transporte est environné d’un souffle de fraîcheur pareil à la brise d’une aube imminente. » (Walter Benjamin)

L’art moderne puis contemporain, enfermé dans l’immanence et l’autoréférence, a coupé les ponts – il n’est plus pontifex, il n’est plus qu’artefact. Poètes, écrivains, théologiens s’interrogent ici sur la signification profonde de l’art et sur le sens de la crise majeure qu’il traverse : « La crise universelle s’identifie avec la crise de l’art. » (Nicolas Berdiaev)

Là encore, l’art porte en creux une signification religieuse – parodique, idolâtrique, voire satanique, au sens où le diable est le singe de Dieu. Comme le remarque Olivier-Thomas Venard, notre époque sécularisée sacralise l’art : « Les enchères sur de nombreuses œuvres modernes et contemporaines, la sophistication des musées, l’importance des « installations » montrent combien les arts plastiques ont parfois valeur quasi cultuelle et sont, aux plus riches ou aux plus snobs d’entre nous, ce que sont au vulgum pecus les grandes surfaces commerciales de glace, de marbre et de dorures kitsch qui encerclent désormais les villes de l’Occident consumériste : de nouveaux temples. »

« Lorsque la présence de Dieu est devenue une supposition intenable et lorsque son absence ne représente plus un poids que l’on ressent de manière bouleversante, certaines dimensions de la pensée et de la créativité ne peuvent plus être atteintes. » (Georges Steiner)

Pour Nietzsche, dans La Naissance de la Tragédie, seule une justification esthétique d’ordre objectif et supérieur peut expliquer la création du monde. Pour le chrétien, l’artiste, le créateur, est co-créateur de Dieu : son art – symbolique, au sens étymologique – participe de la création du monde, creatio continua – ou, diabolique, de sa destruction. « Celui qui croit en moi fera les mêmes œuvres que moi, il en fera même de plus grandes. » (Jn 14, 12) Une attitude d’émerveillement et de gratitude, de contemplation et d’adoration est primordiale – une attitude filiale : « Le Fils ne peut rien créer de lui-même, s’il ne voit pas le Père à l’œuvre ; car ce que le Père crée, le Fils le crée aussi. » (Saint Irénée de Lyon)

« Tous les chrétiens peuvent et doivent devenir des peintres silencieux et contemplatifs de l’universelle Beauté », nous invite finalement Silvano Panunzio.

Alain Santacreu (dir.), Du religieux dans l’art, L’Harmattan, 2012, 190 p., 19 €. Avec des contributions de : Matthieu Baumier, Bruno Bérard, Jean Biès, Jean Borella, Monique Cartron-Bouchouk, Maximilien Friche, Gwen Garnier-Duguy, Falk van Gaver, Jacques de Guillebon, Roberto Mangù, Silvano Panunzio, Alain Santacreu, Geneviève Trainar, Olivier-Thomas Venard.

Illustration : Le cœur émeraude de Roberto Mangù.

Contrelittérature : http://talvera.hautetfort.com/