ll y a eu autrefois une unité spirituelle qui ne relevait pas de l'esprit de la langue et qui était encore moins constituée par les frontières des États : la chrétienté qui s'étendait de Moscou jusqu'en Sicile et en Espagne, avec son Dante et son gothique. Son origine, comme celle de tout esprit, est issue des têtes, des désirs et des cœurs d'une minorité, mais elle provient aussi du sentiment accablant de misère et des aspirations des peuples ; néanmoins, sa signification, lorsqu'elle parvint à son plein accomplissement, fut l'expressivité, le symbole, la transfiguration et l'art, en vue de constituer une communauté spirituelle. La chrétienté, avec ses donjons et ses créneaux gothiques, avec sa symétrie et sa dissymétrie, avec sa liberté s'organisant selon un ordonnancement sage et rigoureux, avec ses corporations et ses fraternités, constitua un peuple dans le sens le plus haut et le plus puissant du terme : l'interpénétration la plus intime de la communauté économique et culturelle et de l'unité spirituelle.

Gustav Landauer, Peuple et territoire, trente thèses sur le socialisme, Die Zukunft n°58, 1907.