La Science qui se flatte de détruire toute superstition, et même tout mythe, mais qui n'est en vérité qu'un masque de l'angoisse, usurpe la place de Dieu : hélas c'est un dieu mal assuré sur ses bases, qui, dans sa faiblesse, devient la proie de la dialectique, et, à tout instant, la Science théorique, infléchie en science appliquée, puis en technique, se transforme en instrument d'agressivité et de conquête. l'industrie fabrique des produits, c'est à dire des objets morts, qu'elle découpe dans la réalité vivante : elle doit le faire au meilleur compte et le plus rapidement possible. La concurrence surgit, inéluctable, d'abord entre les individus puis entre les nations. La guerre devient elle le laboratoire de la Science, ou la Science n'est elle que le piège trompeur de l'instinct ? Quoi qu'il en soit, l'on recourt sans cesse à la Science dans ces conflits armés qui ont pris de nos jours un caractère permanent et universel. Comme on recourt à elle pour rationaliser le travail -épreuve de Dieu dans le "cosmos liturgique", matière d' idolâtrie dans le monde acéphale - jusqu'à faire de l'homme un simple matériel d'usine. Le pêché originelle ayant été supprimé par décret des évolutionnistes et le mystère du "Christ mort et ressuscité" banni de la terre par arrêté des philosophes, l'humanité cesse d'être solidaire du premier comme du second Adam, pour devenir un chiffre abstrait posé par la Science et affecté par la société du signe de la mort.

Louis Massignon. Extrait de L’avenir de la science (de Marcel Moré, adouci (sic) par Louis Massignon en collab avec Brice Parain). Dieu Vivant, cahier 7, liminaire, 1946, pp. 7-16.