Sur le quai du RER Saint-Michel, des jeunes gens portent des gilets rouges de « régulateurs de flux ». Dans leur dos, leur statut inscrit en lettres blanches stigmatise ces emplois-jeunes nouvelle mouture. Tous ont la peau d’ébène des fils d’immigrés africains, la couleur des manutentionnaires de centre-ville. Le spectacle des flots de voyageurs qui se déversent à l’entrée et à la sortie des trains de banlieue nous fait rapidement comprendre la difficulté et l’inanité de leur fonction.

« Régulateurs de flux » ! Tous « de couleurs » donc, selon l’expression consacrée par la novlangue métisso-différentialiste- qui unifie les contraires dans le sabir indistinct de la marchandise. Point besoin d’un histrion à l’inspiration éthylique pour y voir l’illustration du « système à tuer les peuples ». « Régulateurs de flux » ! Comme de braves anticapitalistes à mégaphone, perdus dans les odeurs putrides d’une station RER, on se met à imaginer la révolte de ces inoffensifs damnés de la terre. Que ce néo-prolétariat urbanisé casse les chaînes qui l’attachent à la méduse techno-marchande, qu’il refuse le pain vérolé qu’un patronat antiraciste lui tend avec le cynisme des Tartuffe.

Ne rêvez pas :

« Il vivra des gens sur la surface de la terre, et ici même, quand la France aura disparu. Le mélange ethnique qui dominera est imprévisible, comme leurs cultures, leurs langues mêmes. On peut affirmer que la question centrale, profondément qualitative, sera celle-ci : ces peuples futurs auront-ils dominé, par une pratique émancipée, la technique présente, qui est globalement celle du simulacre et de la dépossession ? Ou, au contraire, seront-ils dominés par elle d’une manière encore plus hiérarchique et esclavagiste qu’aujourd’hui ? Il faut envisager le pire, et combattre pour le meilleur. La France est assurément regrettable. Mais les regrets sont vains. » Guy Debord, Sur l’immigration, 1985

Jean de Lavaur