Le Grec contemporain, quelle que soit sa con­dition, a été cruellement élevé par les ou­kases de la Troïka, comme on dit, au rang de héros shakespearien. Devant la chute inéluctable de sa patrie, chute inique que certains financiers n’auront jamais fini de payer dans un autre monde, celui où régnera enfin la justice, le Grec contemporain peut pleurer comme un autre Richard II : « My Crown I am, but still my griefs are mine :/ You may my glories and my state depose,/ But not my griefs ; still am I King of those. » Car il doit pleurer, il ne peut plus que pleurer.

Certes sa patrie, cette mère de la Méditerranée sur qui ont passé les armées de Rome, les armées des Croisés, les armées du Turc et celles de l’Égyptien, se relèvera. Elle s’est toujours relevée, même quand en 1831, pour accueillir son nouveau roi, Athènes était vide.

Aujourd’hui les plus grandes puissances se sont alliées, comme Diafoirus et ses comparses, pour la blesser à mort en prétendant la sauver. Ces puissances ont en réalité deux choses à sauver, qui ne sont pas la Grèce, encore moins son peuple : leur prestige et les derniers bijoux de famille.

Comme des vautours, quand elles auront accompli leur œuvre, elles migreront vers la prochaine charogne, qui aura pour nom Portugal, Espagne ou Italie. Après avoir soumis ces nations à vingt ans de marche forcée vers le progrès, les avoir endettées jusqu’au trognon en leur vendant à prix d’or des autoroutes inutiles, des ponts, des tunnels, des aéroports et des stades de foot, les États du nord et de l’ouest font main basse sur le dernier bien du peuple, sa souveraineté, comme des huissiers assermentés.

En Grèce, devant les grands argentiers de Mme Merkel et M. Sarkozy, les représentants des partis, même ceux de l’opposition, se sont engagés sur l’honneur à poursuivre coûte que coûte le train de réforme jusqu’en 2020. Ou peut-être 2352. Il y a des trains de réforme comme il y eut des trains de la mort.

Les banquiers qui ont fait mine de mettre la main au pot en effaçant une dette dont les intérêts les avaient cent fois remboursés ont touché immédiatement en récompense une galette de 30 milliards à se partager.

On n’a pas entendu à cette occasion nos mo­dernes libéraux qui justifient chaque jour que Dieu fait le principe des intérêts par le risque du prêteur critiquer les banquiers. Pourtant ils ont prêté, ils ont perdu. Il ne fallait pas jouer au casino. Qu’ils crèvent. Qu’ils tombent. Qu’ils s’effondrent. On ne les pleurera pas.

Il est urgent de relire Vix pervenit (1), et d’effacer entièrement la dette de la Grèce. Il est urgent de la sortir de l’euro, c’est-à-dire d’en refaire un pays libre et maître de son destin. Et de clouer au pilori pour l’exemple quelques-uns de nos maîtres-censeurs qui, il y a vingt ans, nous vendaient l’euro au nom de la solidarité des peuples d’Europe. Il est urgent de transférer les cen­dres de Philippe Sé­guin au Panthéon.

Tout cela ne consolera pas le Grec certainement, qui n’a plus qu’à chan­ter, triste et digne héros shakespearien, sur un ryth­me aragonien : « Ma patrie est com­me une barque/ Qu’a­bandonnèrent ses haleurs/ Et je ressemble à ce mo­nar­que/Plus malheureux que le malheur/ Qui restait roi de ses douleurs. »

(1) Encyclique de Benoît XIV promulguée en 1745 et condamnant le prêt à intérêt (NDLR).

Jacques de Guillebon, "Rumor Mundi", Témoignage chrétien n° 3482, du 6 mars 2012