Bientôt nos enfants ne comprendront plus des expressions comme "silence, forêt, sombre, verte, chênaie" de même qu'ils ne comprendront plus les trésors de notre poésie mythologique ou moderne née des fourrés épais de nos forêts récemment encore impénétrables, mystérieuses, tour à tour redoutables, inspirées ou d'une gravité charmante. Et ce sera un appauvrissement des trésors spirituels de notre peuple poétique. Où s'est caché le chant admirable, à mille voix, louange à Dieu, chant des voix des oiseaux et de tous les animaux qui résonnait il n'y a pas si longtemps dans nos fourrés verts, en fleurs, intacts, et dans nos délicieux matins de mai. La terre désertée, dénudée par l'appât d'un profit obtus, s'enfonce dans un silence sourd, tombal. Ce profit tuera bientôt le goût même des charmes de la nature, comme il a tué sa beauté. Il faut craindre que la terre ne ressemble bientôt à une toile d'araignée géante enserrant tout le globe terrestre où seul surnage un homme émacié, omnivore, semblable à une araignée affamée qui n'a plus rien à dévorer car il a lui-même tout avalé, tué, dépecé tout être vivant à la surface de la terre. Nos lignes ferroviaires ne ressemblent-elles d'ailleurs pas aux fils tendus d'une toile d'araignée universelle ?

Extrait d'un sermon de l’évêque Nikanor (1826-1890), Pravoslavnoe Obozrenie (La revue orthodoxe), décembre 1884.