Actuellement le monde paraît pris dans la barbarie. Nous ignorons s'il en sortira. Toutefois il ne faut pas oublier que, si la conception chrétienne n'a pas été depuis plusieurs siècles la dominante spirituelle de la civilisation, elle est restée cependant vivace, elle a été refoulée, non abolie. Que cette conception vienne à dominer la culture, cela demeure possible aujourd'hui ; que cette possibilité se réalise ou non, c'est le secret de Dieu. Il reste que nous devons travailler de tout notre cœur à cette réalisation - non plus sans doute selon l'idéal médiéval du Saint-Empire, mais selon un idéal nouveau, et beaucoup moins unitaire, où une action toute morale et spirituelle de l’Église présiderait à l'ordre temporel d'une multitude de peuples politiquement et culturellement hétérogènes, et dont les diversités religieuses elles-mêmes ne sont pas près de disparaître. Si les faits ne doivent pas répondre à cette attente, si désormais l’œuvre de chrétienté doit se développer au sein de ce que l’Écriture appelle le mystère d'iniquité, comme ce mystère se développait jadis au sein de l’œuvre de chrétienté, du moins pouvons-nous espérer que dans le monde nouveau une culture authentiquement chrétienne surgira - non plus groupée et rassemblée ainsi qu'au Moyen-Âge, en un corps de civilisation homogène occupant une petite position privilégiée de la terre habitée, mais répandue sur toute la surface du globe comme le réseau vivant de foyer de vie chrétienne disséminée parmi les nations dans la grande unité supraculturelle de l’Église. Au lieu d'un château fort dressé au milieu des terres, pensons plutôt à l'armée des étoiles jetée dans le ciel.

Jacques Maritain, Religion et culture, 1930.