Nul n’ignore l’état moral de la caste politique qui nous gouverne : depuis trente ans, voire quarante, depuis le départ de de Gaulle en fait, qui seul avait réussi à nettoyer les écuries d’Augias, se succèdent les concussionnaires, les voleurs, les dépravés, les incapables, les vaniteux, enfin tous ceux qui ne rêvent qu’une chose, se servir matériellement dans ce grand magot accumulé par le labeur de soixante générations qui s’appelle la France. Ils ne sont en vérité que le reflet de notre propre déchéance, que l’image saturée de notre petitesse qui s’accommode si bien du mal et de ses pompes. Car qui échappe à l’injonction permanente qui n’est plus le si benoît « enrichissez-vous », mais plus pervers est le « jouissez tous autant que vous pouvez avant la fin » ?

Le mal est dans l’homme, certes, il faudrait n’en être pas pour l’ignorer : mais quand la forme des institutions elle-même, quand la structure sociale elle-même, quand le mode de rapports humains lui-même se font les pourvoyeurs de l’ignominie et qu’ils sont non seulement acceptés comme tels, mais loués, mais recherchés, bien malin qui prétendrait échapper à leurs séductions. Les grands saints, qui s‘y connaissent, ont l’habitude de décrire la tentation comme un moyen supérieur de s’approcher de l’amour divin : mais la tentation en tant qu’on y résiste quand ici et maintenant, elle n’est élaborée et sans cesse recréée qu’afin que l’on y cède. Et n’y pas céder, c’est se mettre incontinent au ban de la société. Gigantesques placards publicitaires vantant les charmes de ce péché qui parce qu’il est le plus bas et le plus simple est le mieux partagé par notre époque, l’adultère. Fuite répétée des pères, et parfois des mères qu’une heureuse disposition naturelle retient pourtant, loin de cette terrifiante progéniture qui vient troubler leur petite construction personnelle. Invasion continue des consciences par internet et ses réseaux asociaux qui liquident le peu d’instruction conféré par une école désarticulée.

Mépris des faibles, pillage du monde entier par une classe de néocolons rapaces : en vérité, cet Occident a vécu, et devant la proposition qui nous est faite pour les élections à venir, il ferait beau voir que nous soyons obligés de choisir notre futur bourreau. La démocratie en tant que régime politique souffre d’une tare dont on lui fait reproche en vain depuis deux cents ans passés et dont très peu ont réussi à diminuer les effets : pour arriver à se présenter devant le peuple appuyé d’une certaine notoriété, et d’un parti, et de forces, il a fallu passer auparavant par tous les détours de la forêt obscure, se livrer à toutes les trahisons, à tous les soudoiements, à tous ces vices que Machiavel avait si bien théorisés, et ce peuple parmi qui survivent des hommes et des femmes honnêtes, droits, justes et mus par le bien commun comme le savait Abraham quand il marchandait avec Dieu, n’est jamais en mesure de les choisir parce qu’il ne les connaît pas.

Comme on le faisait remarquer justement, au cours de ces deux siècles de régime proto-démocratique ou démocratique, aucun grand homme politique n’est arrivé à la tête du pouvoir par la voie classique des urnes. Il serait criminel pourtant, ou adolescent – ce qui est souvent synonyme – d’attendre et de rechercher les circonstances exceptionnelles qui feront l’homme exceptionnel. Le remède urgent est, plus que dans la réforme des institutions, dans la destruction de ce système spectaculaire qui est en lui-même une structure de péché. Les Français sont très nombreux à le savoir, les complexes médiatico-économico-politiques qui cherchent à les rééduquer – souvent avec succès, malheureusement – ne les représentent pas et ne veulent surtout pas leur bien. Ils règnent par une terreur dont les moyens de police sont presque illimités : aucun homme libre n’est pourtant tenu de leur obéir, car ils ne sont pas, loin s’en faut, la uste autorité à quoi la recherche d’une vie sociale harmonieuse commande qu’on se plie. Ils n’ont pas de morale, ils n’ont pas de justification, ils n’ont pas de loi supérieure. Contre ces voleurs d’âme, on demande des Lycurgue, des Pisistrate, des Solon, des saint Louis, des Jeanne d’Arc.

Jacques de Guillebon

Source : La Nef N°235 DE MARS 2012