Imaginez… Le XVIIe siècle européen… Un grand-duché improbable entre Suède et Russie, aux confins septentrionaux de l'Europe, aux abords de la Carélie… Un Pikkendorf y arrivant… Pas de doute, vous êtes dans le monde de Jean Raspail, un monde qui coïncide en partie avec le nôtre, en y ouvrant cependant des failles, des interstices, des creux pour les rêves, des respirations pour l'âme… Vous voilà pris, entraîné aux frontières d'un monde mystérieux, vide et silencieux : la Borée immense et blanche, vaste espace où s'adonner aux rêveries sans tache et aux expéditions sans retour. Un monde perdu, hanté peut-être par un petit homme couleur d'écorce, par des tambours et des totems. Un univers de bordures sauvages protégé par le loup et le harfang tutélaires. Et vous, sur la lisière, à travers les siècles emporté dans les neiges vierges et les forêts païennes. On peut imaginer ce qu'Hugo Pratt aurait pu faire d'un tel roman, entre Fort Wheeling et Mû. Mais où recourir aux forêts quand elles sont arrachées : celles de la terre, celles de l'âme ?

C'est cet arrachement du sol et de l'âme que des peuples entiers ont vécu, tribus sibériennes, peuplades dites primitives par les arrogants et premières par les hypocrites. Où sont passés les Youkaguires, les Koriaks, les Vogoules, les Ostiaks, les Tchérémisses, les Oudmourtes, les Bachkirs, les Konis, les Evenks, les Mangaseïs, les Toungouzes – et les Tchouktches ? Pour ne pas perdre la mémoire après avoir tout perdu, Youri Rythkéou, petit-fils du dernier chaman d'Ouelen, a entrepris de rassembler toute l'histoire de ce peuple de chasseurs et pêcheurs du détroit de Behring, depuis la création du monde par le Corbeau jusqu'à la naissance de l'auteur – un des derniers petits hommes couleur d'écorce…

Jean Raspail, Les Royaumes de Borée, Albin Michel

Youri Rythkéou, La Bible tchouktche, Actes Sud