Avec ses 1300 âmes, Taybeh, l’ancien Éphraïm, a quelques lieues au nord de Jérusalem, est le dernier village entièrement chrétien de Terre Sainte. Découverte d’un lieu unique. Très remarquable, ce village l’est certainement – ne serait-ce que parce qu’il est le dernier village de Terre Sainte dont la population soit entièrement chrétienne. Contrairement aux autres hauts lieux de la foi, comme Bethleem, Nazareth, Jérusalem, où les aléas de l’histoire ont donné place à des populations majoritairement juives ou musulmanes. Sait-on que Ramallah, l’actuelle capitale « de fait » de la Cisjordanie, a été fondée par des Arabes chrétiens et était encore il y a peu une ville majoritairement chrétienne ? Relique, mais relique vivante, Taybeh est un vivant témoignage de cette Palestine chrétienne où il y a à peine plus d’un demi-siècle près d’un cinquième de la population était baptisée.

L’œcuménisme au quotidien

Taybeh compte trois paroisses : la plus ancienne est l’orthodoxe, qui rassemble un tiers du village ; ensuite vient la latine, fondée en 1860, et qui comprend plus de la moitie des villageois, puis la melkite, créée en 1903 mais avec une petite communauté déjà présente alors depuis plus d’un demi-siècle, et qui compte une cinquantaine de familles. Mais ces recoupements s’entremêlent au quotidien, puisque chaque famille compte les trois confessions parmi ses membres, au gré des mariages notamment. Lors d’une alliance entre deux personnes de deux rites différents, l’épouse et les enfants suivent la religion du père : si le mari est catholique latin, toute la famille l’est, et ainsi de suite. Cependant a cette identité religieuse officielle de chaque foyer s’ajoute dans la pratique une grande liberté individuelle – et un œcuménisme concret, non seulement entre les trois curés de Taybeh – catholiques latin et melkite, orthodoxe – mais encore davantage parmi les fidèles. Ainsi, Noel est fêté par presque tous chez les latins, et Pâques a la date orthodoxe. La paroisse latine, avec ses nombreuses traditions mariales et sa messe quotidienne, connaît ainsi une grande affluence de paroissiens de rite byzantin – catholiques ou orthodoxes.

Rites antiques

Le haut-lieu œcuménique du village, qui symbolise l’Église indivise, c’est le site byzantin d’Al-Khader. Khader désigne le grand saint Georges, saint patron du village et de toute la Palestine, et c’est ici le lieu de l’église primitive – quand Taybeh s’appelait encore Éphraïm. Basilique byzantine plus tard remaniée par les croisés, les ruines du Khader, avec leur baptistère monolithe des premiers siècles où étaient baptisés les ancêtres, sont la preuve de l’antiquité chrétienne de Taybeh et connaissent encore une dévotion constante des Taybaouis de tous rites, qu’elle soit publique – processions des Rameaux, du feu de Pâques, de la Sainte Croix… - ou privée : prières et cierges, mais aussi et surtout sacrifices d’animaux… Car Taybeh-Éphraïm est sans doute le dernier village de toute la Terre Sainte où se pratiquent encore les sacrifices sanglants de bétail, pratique cananéenne, juive et samaritaine ininterrompue depuis des millénaires. Le rituel a été christianisé, et la viande est ensuite distribuée aux familles pauvres du village et aux personnes âgées.

Entre exil et retour

Taybeh, enraciné dans son héritage et sa fierté chrétienne, n’en vit pas pour le moins tournée vers le passé. L’émigration, due aux conditions politiques et économiques difficiles que vivent les Palestiniens, du fait de l’occupation israélienne, a certes épongé son dynamisme démographique – puisque près de huit mille personnes originaires de Taybeh vivent à l’étranger – mais les Taybaouis se battent pour trouver les moyens de dynamiser la vie économique de leur village et pouvoir y rester. Certains reviennent définitivement même de l’étranger, a l’instar des frères David et Khoury qui, confiants dans les tous récents accords d’Oslo, quittent les États-Unis d’Amérique pour ouvrir dès 1994 une brasserie a Taybeh. Ainsi, Taybeh Beer est la seule brasserie palestinienne, et son excellente bière, artisanale et naturelle, est devenue une fierté locale – et nationale. Ayant séduit les gosiers germaniques, la bière de Taybeh est même produite sous licence a Hambourg ! Devenu maire lors des premières élections libres de 2005, David Khoury institue la Taybeh Oktoberfest – déjà devenue une tradition villageoise, accueillant chaque année près de dix mille visiteurs locaux et étrangers.

Des Églises engagées

Ce sont surtout les églises qui donnent vie au village. Les paroisses catholique, orthodoxe et melkite, avec leurs écoles, crèche, centre médical, accueil de pèlerins et projets de logements, contribuent largement à ce développement. Ces services sont largement ouverts aux musulmans de la région qui envoient leurs enfants dans les écoles chrétiennes et viennent recevoir des soins au dispensaire catholique.

C’est sous l’impulsion d’ « Abouna » (Père en arabe) Raed Abusahlia, prêtre palestinien originaire de Zababdeh, et curé latin de Taybeh depuis 2002, que la vie économique a pris un nouvel essor.

Ainsi Taybeh-Éphraïm, avec ses trois églises, ses deux écoles, ses crèches et jardins d’enfants, sa maison d’accueil pour personnes âgées, ses maisons d’hôtes, son atelier de céramique, son pressoir d’huile d’olive, son centre médical catholique, sa brasserie, ses artisans et commerçants, connaît un rayonnement économique, éducatif et social qui bénéficie non seulement a la population locale, donnant travail et revenus, mais aussi a tous les villages environnants - contribuant grandement au maintien de son intégration et au respect de son identité dans un contexte largement musulman.

La messe en arabe

L’engagement économique et social des églises ne doit pas masquer ce qui en constitue le cœur – qui donne souffle à toute la vie du village : la divine liturgie. Ce sont les trois clochers qui marquent ici le temps au rythme des saisons. En plus du curé latin, Abouna David Khoury et Abouna Tawfiq Nasser, prêtres orthodoxes, et Abouna Jacques Abed, curé melkite, mais aussi les petites communautés des Sœurs arabes du Saint-Rosaire et des Sœurs françaises de la Sainte-Croix de Jérusalem, se dépensent sans compter pour leurs paroisses. Messes quotidiennes et dominicales, toutes célébrées en arabe, fêtes et solennités, traditions et bénédictions, visites et processions s’entrelacent dans le quotidien des Taybaouis, donnant, entre sommets liturgiques et occupations prosaïques, a chaque instant un goût d’éternité. Et c’est ce trésor que Taybeh doit garder.