Banteay Chmar et son temple - Les rires éclatent du fond des cabanes en bois sur pilotis, les mains des paysans sont à l’ouvrage, les buffles traversent les rizières à pas lent et grave, des hérons blancs fendent le ciel avec un vol solennel, la vie se déroule avec calme et lenteur, comme un seul et unique grand jour blanc. Banteay Chmar est un village khmer au nord-ouest du Cambodge, en forme de carré, organisé autour des douves d’un temple plus vieux qu’Angkor, à la beauté sauvage et effrayante, chevaleresque et chaotique. Les racines engloutissent les pierres comme du fromage fondu, les lianes tombent comme des larmes, les papillons gros comme des mains ouvertes battent des ailes en silence et les grenouilles si nombreuses sont à confondre avec des sauterelles. Bramah, de ses quatre visages nous regarde d’un œil archaïque, les Apsaras dansent, le corps souple comme une vague, les gravures des Dieux s`enchaînent ainsi que des scènes de batailles interminables, dont la grande victoire navale remportée par le roi Jayavarman VII sur l’invasion des Cham en 1177. Ce roi fut le plus grand bâtisseur des rois khmers et on dit de lui qu’« il souffrait des maux de ses sujets autant que des siens propres ». Plus loin sur les murs, Anouma, le fils du vent, tournoie dans les rayons du soleil, les soldats se font transpercer ou manger par d’énormes poissons, les vaincus ont laissé leurs têtes en offrande. Les flottilles et les sabres s`entremêlent pendant que les divinités à bras multiples tentent de faire régner l’ordre. Vishnu et Civa trônent, l’un sa trompe dans la main, l’autre le regard fixe, rayonnants et respectés, le regard solide comme la pierre. Le décor est celui d’un Myazaki ou d’un Indiana Jones.

Religion - Les cultes viennent d’Inde. Apres plusieurs changements et appropriations différentes, au 12e siècle, le bouddhisme Theravada (la « voie des anciens » dit aussi Hinayana ou du « petit véhicule ») élaboré depuis le 2e siècle est quasiment exclusif chez les Khmers. Il fallait trouver un chemin qui mène à la suppression de la douleur, ce chemin c’est le renoncement, le détachement, seule solution pour parvenir au Nirvana. Se détacher de tout jusqu'à soi-même pour échapper à la capture des larmes, et, tout gonflé de liberté, toucher le sommet avec le temps qu’il faut pour aplanir une montagne avec un krama . La pagode, hantée de bonzes en toge safran, est le centre religieux du village.

Les villageois - Autour de ces murs en désordre et ces ruines au passé grandiose, les habitants de Banteay Chmar s’articulent. Les hommes ont gardé le sourire antique, les femmes le port de tête royal. Les joies côtoient les drames, les amours pudiques se mêlent aux histoires tragiques, les regards noirs de jais restent mystérieux, l’argent omniprésent de la naissance à la mort fait tourner les têtes et entraîne la corruption dont la police est la première gérante, les paysans labourent leurs terres avec le front sérieux, les femmes laissent échapper de hauts rires ou restent le regard vide dans un silence solennel, les vieilles personnes aux bouches rouges de bétel sont là, immobiles dans un coin de la maison, perchées sur leur pilotis, quand les enfants libres s’échappent en grappes sur les chemins comme une poignée d’oiseaux lâchés. Population brune aux yeux non bridés, la société khmère révèle des survivance matrilocales, même si les choses se modifient au fil du temps, les jeunes époux doivent en un premier temps vivre chez les parents de la femme avant que le mari ne construise sa maison à proximité des beaux-parents. Bien que la modernité arrive à grand pas, même dans des endroits aussi reculés que celui-ci, et que les jeunes filles ont quitté le sampot (jupe traditionnelle) pour le jeans cowboy, l’essentiel de la population est paysanne et dénudée d’artifices. Les chapeaux de paille posés sur les têtes comme de petites coupelles s’agitent au loin, penchés sur le sol des rizières. Les Khmers habiteraient sur pilotis depuis au moins treize siècles avant Jésus-Christ (époque de Samrong Sen). Peuple indianisé, de la charrette à bœufs jusqu'à l’alphabet, au caractère libre et paradoxal. L’avenir n’est pas source de pensée et rien n’est grave. On peut rire de tout, être capable de belles rencontres amicales et partir sans dire au revoir. De 1870 a 1871, Jules Brossard de Corbigny, lieutenant de vaisseau, était représentant de la France au Cambodge. Il fut embarqué dans une aventure fabuleuse, lorsqu’en 1871, Norodom, roi du Cambodge, envoie une caravane somptueuse de 68 éléphants à Bangkok pour le retour des princesses retenues par le roi de Siam. Jules en profite pour se joindre à la caravane et traverse ainsi tout le Cambodge, il en fit naître un livre, Eloge de l’Elephant, ou il dépeint les situations abracadabrantes du voyage, les paysages et les traits marquant du comportement khmer. Il dit ceci qui est très juste : « Dire des Khmers qu’ils ne sont jamais pressés, ne donne pas assez l’idée de leur nonchalance. Ils sont toujours en retard. Le roi, le mandarin, l’homme du peuple et son buffle, ont toute leur vie, dans tous leur actes, le demi-sommeil de l’apathie. » La joie de vivre reste majeure mais la piraterie reste l’exutoire d’une violence masquée et contenue par le bouddhisme. Les endettements et les magouilles ne sont jamais bien loin. Les prétextes pour se faire de l’argent sont trouvés sans peine, mais quand le cœur est honnête, il l’est entièrement, et nombres d’entre eux sont capables de se revêtir de l’aube de l’amour. La dévotion sans ostentation auprès des personnes âgées est très touchante. Les fous et les éclopés sont rarement mis à l’écart. La pagode les accueille, les nourrit, et le crâne rasé ainsi que les sourcils, revêtus d’une toge orange, ils se rendent utiles et participent à la vie du village. On peut rire de leurs maux comme de ceux de n’importe qui. Les esprits susceptibles ne font pas bonne route au Cambodge. L’œil scrutateur, rien n’échappe aux Khmers. Dans ce magma de vie, ces complots alimentés dans la joie, des lumières brillent dans Banteay Chmar, des grâces directement venues du ciel et déposées sur la terre, des étoiles au sang rouge qui brillent dans un abîme indéfinissable. Des personnalités passionnés, uniques, hors du commun et dignes de reconnaissance se dessinent dans le cadre de vie de ce village.

Kout Sino et les abeilles – Les essaims sont nombreux dans le pays et travaillent activement. A l’état de nature, les habitants se prennent pour des ours de la foret et dégomment de gros gâteaux fixés sous quelques hautes branches. La cire est parfaitement blanche et le miel récolté sur les fleurs de la foret a le goût de la joie sauvage. L’apiculture a été pourtant très longtemps inconnue des Khmers, et ne prend toujours pas un essor fulgurant. Cela n’empêche pas certains de se piquer de passion. L’association CCBEN (Cambodia Community Based Ecotourism Network), qui soutient les communautés locales et s’investit dans la protection de l’environnement, a appris à l’un des habitants de Banteay Chmar à faire son propre miel, ce qui fut un véritable succès. Kout Sino a femme et enfants, il est menuisier. Il y a un petit plus d’un an, il a appris l’apiculture avec un certain Dan, Américain membre du CCBEN, sorte de Théodore Monod à la barbe blanche qui traîne jusque par terre. Depuis, la folie de miel coule dans ses veines. Il s’adonne avec sérieux et ferveur à ce métier. Non pour l’argent, mais pour la passion. Pour le bonheur de tenir entre ses mains un trésor doré. Le Cambodge comporte environ 500 ONG et il fréquent de se demander si nous assistons les Khmers. C’est pour cela que leur laisser le travail à eux-mêmes est un très bon test. La passion de Kout Sino a attiré la curiosité des autres et le village contient aujourd’hui huit apiculteurs, il est le professeur de trois nouveaux volontaires. Mais Kout Sino reste le patriarche et le maître en la matière. Devant les abeilles, son regard se transforme et son cœur est attiré comme par un aimant.

Il est nu, la taille juste entouré d’un krama, le corps couvert de ses petites chimères. Il possède chez lui une dizaine de ruches. C’est un travail difficile qui demande beaucoup de patience. Les ruches sont récoltées dans la nature, habitées par des oeufs, puis mises dans de petites boites en bois ou des tronc d’arbres creusés. Dans chaque petit refuge, une reine. La pose de la ruche se fait le matin tôt ou le soir, question de température. Les ruches étant peu nombreuses, le miel est rare. Un petit refuge fait deux litres par an, un litre est vendu 10 dollars. En plus de la passion que lui apporte les abeilles, Kout Sino est touché par la protection de la nature et n’hésite pas à reprendre les villageois qui font tomber les ruches à coup de lance-pierre et de flèche, car cela détruit l’écosystème et les abeilles ne reviennent plus. Le rêve de Kout Sino est de créer un grand secteur d’apiculture dans Banteay Chmar, en association avec d’autres personnes, et ainsi de faire de Banteay Chmar un fournisseur de miel reconnu. Le manque de motivation et le laisser-aller des autres l’attriste, mais pour qui persévère, rien n’est perdu, et il ne m’étonnerait pas d’apprendre que dans Banteay Chmar, plus tard, le miel coulera des rochers en abondance. Le CCBEN a bien compris que ce qui peut sauver un village, chez ce peuple mélancolique qui a gardé sur les épaules le poids d’un lourd passé, que ce soit les Khmers Rouges ou les invasions des autres pays, c’est d’offrir des initiatives aux locaux, la découverte de passions, l’amour pour quelque chose, l’épanouissement de soi-même par son propre travail, et un esprit curieux.

Hueut et les champignons - Kout Sino n’est pas le seul à se passionner pour les cadeaux de la terre. Hueut est le père d’une famille nombreuse, sept enfants. Il ne se soucie guère du lendemain ni de comment les nourrir, il fait suer son front, et n’a jamais été d’accord, avec sa femme, pour la castration artificielle. Hueut est un marqué de la guerre, il n’a qu’une jambe. Bien des mines ont ravagé les corps, elles sont encore présentes, les panneaux « attention aux mines » sont plantés ici et là dans le sol. Le corps d’Hueut est ancestral, recouvert de muscles, la peau ferme et mate. On imagine très bien le physique des bâtisseurs d’Angkor. Hueut a la folie du champignon. Il fait partie d’un groupe de cultivateurs de champignon et est déjà passé, à sa grande gloire, dans un petit journal khmer où l’on fait son éloge. Il est ravi de montrer une photographie de son visage à coté d’une couronne de champignons. Dans une cabane à l’ombre, Hueut entrepose près de mille pousses, qui sortent d’un sachet en plastique rempli d’engrais, graines et divers composants. Une fois les champignons adultes, on les coupe, et cela repousse de nouveau. Ils régalent le village, Hueut ne trouve nulle difficulté à les vendre. Il a du cœur à l’ouvrage et ses initiatives sont pleines d’espoir. Un des fils de Hueut est aveugle, il s’appelle Traa et a 14 ans. L’organisation Enfants du Mékong, installée à Banteay Chmar, le prend en charge et il sera inscrit à Krousa Tmey l’année prochaine. Krousa Tmey, « nouvelle maison » en khmer, est une autre association qui s’occupe beaucoup d’enfants aveugles, leur apprenant le braille, et les formant pour des métiers artistiques (masseur, musicien, chanteur…).

Traa est un garçon qui a soif d’apprendre, et en aidant son fils, Hueut se sent justement récompensé de son travail. Le village ne donne pas la même impression de pauvreté que la misère de ville, certes, la vie y est moins dure, mais les dos se plient, l’alcool fait des ravages, l’argent rend fou, le vol rode, et la violence, quand elle éclate, est comme une grenade trop mure qui n’attendait que le moment d’être cueillie pour exploser. Le jeu est attrayant, les cartes sortent des poches et battent sur la table, on y perd tout, ses terres, son bétail, quand il n’est pas vendu pour nourrir la famille. La grande erreur est surtout un manque de gestion de l’argent, on veut faire les choses trop vite, on ne sait pas épargner, on se met dans des situations d’urgence. Tout le monde sait tout sur tout le monde et la moindre erreur fait perdre la face.

Enfants du Mékong – Depuis 2001, des volontaires se relaient à Banteay Chmar pour assurer, par crainte de corruption chez les Khmers, le rôle de responsable de programme, normalement tenu par des locaux. Le volontaire a en charge cinq programmes de parrainage, qui comptent en tout presque deux cents enfants aidés mensuellement pour assurer leur scolarisation. Aujourd’hui, la réalisation d’un centre d’éveil est en cours ainsi que d’une bibliothèque. Enfants du Mékong prend de l’ampleur et s’enracine dans le sol de Banteay Chmar. Au fil des années, l’aide se concrétise et chaque passage donne un coup de pouce vers l’avant. Les premiers ont connu la peur des mines, les rencontres avec les Khmers Rouges au bord des chemins, les discussions par talkie-walkie et la vraie plénitude de la solitude. Aujourd’hui, Banteay Chmar reste toujours un village campagnard un peu perdu, mais son accès est bien plus simple qu’avant, l’ambiance chapeau de paille et balade dans les rizières a cédé au coupe-coupe et au fusil. Néanmoins, si l’on s’écarte un peu, le Moyen Age reprend sa place prépondérante et les motos ne tiennent plus les routes impossibles. Les Français sont reconnus pour être le peuple qui s’adapte le plus à l’étranger. Curiosité pour la nourriture, les langues, les coutumes des autres, etc. On veut voir les araignées grillées, dormir sur du bois, porter des kramas, partir à la chasse dans la brousse, se jeter sous la pluie de mousson, couper le riz à la faucille, faire des affûts au cobra, au scorpion et apprendre à manier le lance-pierre. Ceci est un bon sujet de rigolade pour les Khmers, qui, pour la majorité d’entre eux, si cela leur était possible, sauteraient sur l’occasion de vivre plus aisément. Jules Brossard de Corbigny le souligne ainsi : « Les pauvres Cambodgiens ne comprenaient pas, en effet, que des chefs, des mandarins français, qui peuvent dormir toute la journée et toute la nuit sans s’inquiéter de leur nourriture, qui ont plusieurs vêtements, un fusil, des souliers, qui, en un mot, jouissent de tous les biens de cette terre, aillent de le propre gré courir les chemins déserts, à la pluie, au soleil, quand il leur serait facile de rester là-bas, dans leur pays d’Occident ou chacun d’eux, dit-on, peut vivre dans des cases tout en pierre, comme le palais du roi. »

Krou Try et Krou Kya sont ici les deux travailleurs sociaux d’Enfants du Mékong. L’un vient de Site 2 et l’autre de Site B. Deux camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise ou des milliers de familles allaient s’installer durant les troubles khmers rouges. Cela devenait leur seul lieu de fuite après maints efforts de survie dans les villages. C’est à Site 2 qu’Enfants du Mékong a commencé en 1986 son action auprès des Khmers. Krou Try se souvient des soldats courbés sur le sol en train de poser des mines sur le chemin de son école. Les souvenirs sont nombreux et, malgré ce que l’on croit des survivants de guerres atroces, les Khmers se livrent assez librement. Pheap, garde de nuit au centre Enfants du Mékong de Banteay Chmar, raconte ceci : « La vie est bien plus facile depuis que je travail pour EDM. De 1993 a 2005, j’étais militaire. Je faisais des rondes de nuit, chargé de ceintures de balles. Les nuits étaient très courtes. Les derniers fiefs khmers rouges étaient dans le nord-ouest. Along Veng, Preah Vihear, etc. Ici aussi. Tout le nord-ouest. Ca a été difficile jusqu’en 1999. On appelait cela la ‘guerre froide’. Avant, il n’y avait rien dans nos villages. Ni pont, ni rien. Que des chars à bœufs. Tous les kilomètres, un homme armé interrogeait les passants. ‘Tu vas ou ? Qu’est-ce que tu fais ?’ Ici il y avait des champs collectifs. Les champs privés n’existaient pas. Quelle joie ça a été de pouvoir remanger des fruits quand on en avait envie ! Mais il y avait beaucoup de gens dépressif après la guerre. Ils avaient tout perdu. Mon père a vu de telles horreurs, qu’il n’a jamais pu en parler. Ils faisaient des choses terribles, comme jeter les bébés en l’air pour les tirer au fusil comme des oiseaux, arracher les ongles des traîtres et y mettre de l’acide. Il ne fallait pas porter de lunettes, il fallait avoir des mains de paysans et la peau foncée. Il ne fallait pas avoir de diplôme car ‘le papier ne fait pas pousser le riz’. Moi je trouve cela important d’étudier. Il me plait d’enseigner aux enfants. Je veux les encourager, les porter, et donner un coup de main à Enfants du Mékong. » Pheap termine sa discussion par une touche d’humour noir très apprécié ici : « Au bout d’un moment, ils se sont arrêté de tuer, il n’y avait plus personne à tuer ! » Il est vrai que les survivants sont peu nombreux. Cette guerre qui voulait organiser le pays n’a fait que le détruire et le ruiner, tout déstructurer avec, au pouvoir, bien peu de logique. Comme une copie bâclée des grands chefs communistes, il semble que les « Frères » khmers rouges lisaient les livres à l’envers et mettaient les choses en place sans réfléchir. Il ne fallait plus rien recevoir des autres pays, cet ordre était ferme, mais en douce, on importait de-ci de-la. Quand ici les bonzes devaient être défroqués, là-bas il fallait garder la toge orange. Il est triste de voir qu’une armée soit disant « très courageuse et très extraordinaire » n’a fait qu’amener le pays vers son propre suicide, emmenant avec elle le sang de milliers d’innocents. Les échappatoires étaient bien faibles, car l’Angkar (l’ « Organisation ») « a les yeux comme les ananas et voit tout ».

Pheap, voyant sont fils absolument pas assidu à l’école, a décidé de lui donner de petits cours le soir. Petit à petit, quelques enfants du village se sont greffés au cours. Aujourd’hui Pheap dispose d’une salle et de tout le matériel nécessaire pour exercer de véritables cours du soir. Tous les jours, au soleil tombant, on peut entendre de petites voix énergiques récitant les tables de multiplications, sur un air de chanson, transperçant le soleil devenu rouge sang, descendant, tremblant, sur le sol brumeux, ou les paysans rentrent leur bétail.

Le monde est beau quand tu te penches sur ta terre, paysan. De la sueur trace un sillon sur la colonne de ton dos. Ton regard rivé sur le riz parle de la famille. Famille à nourrir. Nourrie de la terre, nourrie du sang du père. Tes vaches blanches aux épaules osseuses ont une démarche lente et paisible, comme un sommeil vivant. Leurs silhouettes sont archaïques. On croirait des peintures pariétales préhistoriques avancer sur les rives du nord-ouest. Il y a ton cœur qui n`a pas bougé depuis cent ans et tes veines se nourrissent du même lait. Ta houe, ta charrue, ton krama, tes rêves et tes contes. Tout cela n`a pas changé. J`arrive en pays d`autrefois. La paysannerie s`est dressée comme un étendard, solide comme une montagne, dépliée comme un drapeau. Riz, ton honneur, ta fierté, ton labeur, ta sueur, ton symbole, ton sang, ta famille. Il y a longtemps que ça dure. Persistez, travailleurs des champs, persistez jusqu`au paradis, gardez la morale d`une vie saine, que vous mains ne s`emploient point aux mœurs du monde citadin. Vous avez l`éternel dans vos paumes. Le souffle divin sous vos pieds nus, enfouis dans la boue. Chacun de tes grain de riz est un ange et chacune des étoiles du ciel, innombrables, et chacun des fils d`Abraham et chacune des prières du monde. Tu marches chaque jour vers le ciel, chaque minute vers l`éternel, chaque souffle vers le Royaume. Ta femme, a ton coté, les cheveux mouillés, le corps courbé, cambré, essoufflée, travaille avec toi. Union et compassion. Couple pudique, couple d`Amour pur, d`Amour simple et discret. Vos deux cotés, proches, travaillent la même terre et vos cœurs battent ensemble sous la pluie de septembre. Tu ris quand elle rit. Tu restes sérieux quand sa bouche est fermée et son regard lointain.

Je pleure, car je sais que ça va cesser. Je sais qu`on va venir leur dire qu`il y a un autre monde. Ou ils seront heureux, plus qu`ici, entre les pots d`échappements et les cris de la rue. La solitude de la ville, l`angoisse des quatre murs. Et la beauté, l`Amour, l`essentiel et la pureté, tout cela va s`évaporer comme un nuage d`eau dans un ciel ombragé. Mes larmes roulent sur mes joues comme des abeilles affolées. Charles Péguy avait raison de dire : « Il faut que paysannerie continue. »