"Imite la terre, porte du fruit comme elle, ne te montre pas pire que ce qui n'a pas d'esprit. " Basile de Césarée

La société du vide veut nous faire croire que rien n'est ni n'existe – afin de mieux nous exploiter. Une métaphysique critique pourrait commencer par un départ salutaire : quitter les séminaires du néant pour l'école du réel.

Il est temps de considérer combien la métaphysique, loin de nous égarer dans un arrière-monde nébuleux, part de la terre et y ramène, nous donnant toujours davantage de raisons de nous émerveiller. Car avant d'être arable, la terre est intelligible. Nous ne sommes pas là pour en être les esclaves ni les tyrans, mais les arpenteurs émerveillés. L'attitude contemplative consiste à laisser son intelligence être mesurée par la réalité des choses. En préalable, il faut rompre avec une conception de la nature comme étendue à quantifier et fonds à exploiter. Rompre aussi avec cet idéalisme qui en rejetant la terre finit par rejeter le ciel.

C'est à l'école du réel que nous devons user nos fonds de culottes avec Saint Thomas d'Aquin comme professeur : "L'étude de la philosophie n'a pas pour but de savoir ce que les hommes ont pensé, mais de savoir ce qu'est la réalité des choses." La métaphysique affirme ainsi le primat de l'être sur l'idéalité : "Mieux vaut un chien vivant qu'un lion mort", dit l'Ecclésiaste (9,4). Ce n'est pas en méprisant la terre que l'on monte au ciel, mais en la cultivant et la contemplant avec humilité : "Celui qui s'abaisse est élevé". La haine de la terre, le mépris de la Création des cathares, des puritains et autres idéalistes fondent la haine du réel et le mépris du peuple des modernes, idéologues ou pragmatiques – et tous les carnages et gâchis, matériels et humains, des deux derniers siècles. "On peut demeurer matériellement sur sa terre, mais si l'on y plante les totems d'une nouvelle idolâtrie, on ne l'habite plus en vérité, on s'enfonce dans l'exil, on s'enferme dans une sphère de calculs et de songes", écrit Fabrice Hadjadj. Le retour au réel consiste d'abord à dissiper l'illusion. "Quitte ce pays pour le pays", dit Dieu à Abraham. L'amour du proche nous convie à voyager à travers le pays rêvé jusqu'au pays réel: un dépaysement qui serait en même temps "empaysement".

La métaphysique, on le voit, est un rapprochement : elle assume le sens de la finitude et du concret. En ce sens, elle est éminemment politique. La foi en effet ne détourne pas du souci de la cité terrestre, elle nous y engage au contraire au suprême degré. Si la sagesse mystique conduit au bien commun éternel, la prudence politique mène au bien commun temporel. La mystique garantit et oriente la politique. Une récente Note doctrinale signée du Cardinal Joseph Ratzinger rappelle cette urgence du politique : "Ils s'éloignent de la vérité ceux-qui, sachant que nous n'avons pas ici de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future, croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir pressant." L'amour du prochain est une forme de vie qui concerne la totalité des activités humaines – publiques comme privées.

Fabrice Hadjadj, La Terre chemin du Ciel, Les Provinciales-Cerf