Nous avons tous rêvé un jour, enfants lumineux ou lunatiques, des "courses inutiles des chevaliers en armures, grands miroirs tournoyants au-dessus des poitrails", d'aventures orientales, combats, déserts, femmes et lunes, vérité implacable sous le soleil inéluctable, comme l'oeil unique d'un Dieu unique à en être cyclopéen.

Hubert Haddad, dans un récent roman, pénètre ainsi la conscience du preux des preux, du roi sacrificiel par excellence, du croisé Saint Louis IX de France. Mais un souverain à l'agonie, pestiféré sous les murailles de Tunis, un seigneur sur son lit de mort : "Un roi n'est qu'un fétu aux lèvres de Dieu". Mais, puisqu'un rêve sauve parfois du trépas, Haddad reprend la légende de la survie et de la conversion du chevalier des chevaliers – glisse du roman au conte soufi, le temps d'un songe, un temps de songe. Ce roi Louis, saint pour les pauvres, fou pour les princes, le voici aveugle, errant, mendiant – nu dans la main de Dieu. Ayant tout oublié, à tout renonçé, jusqu'à lui-même – tout, sauf le Très-Haut. Mystère d'être roi, mystère d'être fils, mystère de l'homme. Le Royaume présent, à portée d'âme, quand la réalité elle-même manque d'assurance, que tout flotte et tremble dans la flamme de l'air : au-delà de l'agonie, aux confins de la survie, on peut vivre la vie comme une Pâque de tous les instants. Mais nul n'échappe à son ombre, Franjs ou Sarrazins – et il faudra, une dernière fois, tirer l'épée, pour mourir les mains jointes. L'Orient, l'Orient du Verbe, l'Orient des révélations, "l'Orient des saints et des voleurs n'est pas si éloigné d'un simple galop dans le vent sourd."

Hubert Haddad, La double conversion d'Al-Mostançir, Fayard