Mardi 23 mai 2011, Virginie Marze interrogeait pour RCF Falk van Gaver sur son nouveau livre, L’écologie selon Jésus-Christ (Éditions de l’Homme Nouveau, 2011).

1- Juste avant de parler du livre je voudrais préciser que nous vous téléphonons en Palestine et vous demander de nous parler de l’endroit où vous vivez, je crois que c’est un petit village chrétien…

Taybeh est le dernier village entièrement chrétien de Palestine, c’est l’Éphraïm de l’Évangile ou Jésus se refugia avec ses disciples avant de monter à Jérusalem souffrir sa Passion (Jean 11, 54). C’est un petit village de 1300 habitants, dans la montagne, non loin de Jérusalem et Ramallah. J’y habite avec ma famille en tant que volontaires DCC depuis bientôt 2 ans.

2- L’Écologie selon Jésus-Christ, le titre est un peu provocateur car il semble suggérer que Jésus est écolo (on l’a déjà étiqueté hippie, car non-violent, ou communiste car pour le partage !) ; plus sérieusement, pourquoi cette question écologique surgit-elle aujourd’hui de la question religieuse ?

Écologie est un néologisme du XIXe siècle, mais ce n’est pas un anachronisme car il y a une véritable vision de la nature dans le christianisme ! Bien sur, le titre est accrocheur, mais ce n’est pas Jésus-Christ écolo, mais l’écologie selon Jésus-Christ, c’est-à-dire passée au crible de l’Évangile !

La question écologique surgit aujourd’hui car c’est depuis l’époque industrielle que le rapport à la nature est vécu sous le mode de la crise et de la fragilité : d’un coup, le monde apparait comme fini et périssable – c’est-à-dire, en termes chrétiens, comme créé.

Comme le scribe avisé des Évangiles, les chrétiens sont tenus de tirer de leur trésor du neuf avec de l’ancien, car évangéliser veut dire aussi répondre à la lumière de l’Évangile à toutes les questions nouvelles qui se posent à l’humanité au cours de son histoire.

Les chrétiens n’ont donc pas à évacuer certaines questions mais à répondre à toutes avec amour et intelligence – au nom du Christ et surtout dans son Esprit.

Comme je lai dit, il y a dans le christianisme une vraie vision de la nature, depuis la Création jusqu'à la Rédemption, c’est toute la nature, tout l’univers qui est créé bon et qui sera sauvé. Comme dit la Bible dans le Livre de la Sagesse, Dieu a tout créé pour que tout subsiste.

3- La phrase qui, quasiment ouvre et referme le livre est : « Si tu veux (construire) la paix, protège la création », c’est une phrase de Benoît XVI. Vous appuyant sur cette affirmation, vous déployez toute une réflexion en 4 chapitres où successivement vous évoquez la morale, l’Alliance avec la Création, les Prophètes de la création et enfin l’invitation « Croissez et multipliez ». Comment est-ce que la morale peut aider l’écologie ? L’injonction « croissez et multipliez » ne va-t-elle pas à l’encontre de l’idée de décroissance? D’ailleurs dans le chapitre 4 vous posez la question : la décroissance est-elle évangélique ? Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

« Si tu veux la paix, protège la création » : passer d’un rapport de prédation et d’exploitation à une relation de respect, d’amour et de communion avec la nature est un aspect fondamental de l’amour de Dieu et du prochain, de la même façon que Jean-Paul II disait : « Paix avec le Créateur, paix avec toute la Création. »

Avant tout, qu’est-ce qu’on entend par morale ? Plus qu’une règle ou qu’une loi extérieure, la morale est une expression de l’amour, c’est l’amour mis en acte, c’est la cohérence de l’amour dans la vie. Le chrétien aime la Création car il aime le Créateur, il aime Dieu et tout ce qu’il a créé. Dès lors fait partie de sa morale, c’est-a-dire de son comportement, une attitude aimante vis-à-vis de son prochain comme de toute la Création.

Il s’agit avant tout d’amour, d’admiration, d’émerveillement devant le don de la Création.

Par ailleurs, il faut bien comprendre l’expression « croissez et multipliez » et ne pas l’isoler de son contexte ! C’est la tactique du diable d’isoler des phrases de la Bible de leur contexte pour troubler les gens, il le fait même avec Jésus lorsqu’il va le tenter au désert ! Le premier « croissez et multipliez » est adressée dans la Bible non pas aux hommes, mais aux animaux – il faut le rappeler ! Ce n’est qu’ensuite que l’homme, arrivé en dernier, est institué gardien et protecteur de tout ce qui le précède. Sa bénédiction divine, son « croissez et multipliez » ne doit donc pas entrer en concurrence avec la bénédiction de Dieu à la nature, aux animaux, mais en coopération, en complément.

Par ailleurs, le Christ a donné une interprétation spirituelle plus exigeante de nombreux préceptes de la Bible compris jusqu’alors sur un mode plus charnel, plus temporel, plus terre-à-terre. Lui-même comme ses disciples et l’Église ont valorisée le célibat consacré à Dieu, par exemple. Il faut avant tout comprendre ce « croissez et multipliez » sous deux axes : comme une ouverture globale à la vie, humaine bien sur, mais aussi animale, végétale… ; comme une croissance spirituelle et morale de l’humanité – croissance de laquelle fait partie l’amour et le respect du prochain comme de la Création, de « sœur notre mère la Terre » comme disait saint François ! En tout cas, « croissez et multipliez » n’a rien à voir avec la croissance économique et technologique comme on l’entend ici et là : le Christ a d’ailleurs bien dit : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent ! »

Pour ce qui est de la décroissance, c’est un terme provocateur destinée justement à provoquer un questionnement sur notre culte moderne de la croissance économique et technologique – qui rejoint une remise en question radicale du christianisme de nos ordres de priorité : met-on le matériel d’abord ou le spirituel ? Dieu est-il réellement le premier dans nos vies, ou doit-il se contenter de la part congrue, une fois les satisfactions matérielles bien remplies ?

4- Enfin dans la conclusion de votre livre, vous semblez dire qu’on ne peut vivre heureux que dans l’évitement de la technologie : arrêtez la TV, la radio (mince !), pour retrouver une relation vraie, du temps pour l’écoute. La société moderne est-elle à ce point en rupture avec les aspirations profondes spirituelles de l’Homme ? N’y a-t-il que les ermites et les ascètes pour connaître le vrai bonheur ?

Nous avons justement cette tradition en christianisme de frugalité, de détachement, de pauvreté de cœur, de simplicité volontaire, d’ascèse, de jeune, de silence… qui ne concerne pas que les moines ! C’est l’importance du Carême, mais aussi de l’Avent dans une approche moins matérielle, moins matérialiste de Noël, qui est la fête des pauvres, des exclus, des bergers… Y pensons-nous assez ? Et agissons-nous dans ce sens ? Notre rapport à Noël, à la naissance du Christ qui est notre vie, reflète bien notre rapport à la vie : qu’est-ce qui est prioritaire ?

Les chrétiens de nos pays doivent savoir se libérer du trop grand confort (et de tas de gadgets inutiles) et de la course à l’argent, afin de consacrer davantage de temps à Dieu, à la prière, et aussi aux autres, aux pauvres, aux vieux, aux isolés, aux clochards – aux bonnes œuvres. Évidemment, cette sorte d’autodiscipline n’est pas tant privation que libération : il s’agit de libérer du temps pour soi, pour Dieu, pour le prochain – pour une vie plus joyeuse.

Faire des économies – de temps, d’argent, d’énergie – non par radinerie, mais par générosité, charité, amour, pour donner davantage de temps, d’argent, d’énergie aux autres – et à Dieu. On peut-être commencer par prendre le temps de le contempler dans sa Création, dans sa présence d’immensité, comme le dit magnifiquement le vieux terme théologique ?

5- Enfin, je voudrais signaler que l’Écologie selon Jésus-Christ est préfacée par Jean Bastaire qui est le pionnier de l’écologie chrétienne. Et en annexe, le message de Benoît XVI du 1er janvier 2010 pour la Journée de la Paix.

Le pionnier, c’est le Christ lui-même ! Il y a une solide tradition « écologiste » dans le christianisme, mais Jean Bastaire aura été en France l’un des passeurs de flambeau en ces dernières décennies où l’amour chrétien de la Création s’est un peu obscurci et refroidi… Jean-Paul II comme Benoît XVI ont parlé de l’urgence d’une « conversion écologique » de nos sociétés : à nous de montrer l’exemple, ouvrir la voie !

Propos recueillis par Virginie Marze

http://podcast.rcf.fr/emission/142231/158834

L’Écologie selon Jésus-Christ

Préface de Jean Bastaire

Falk van Gaver

Éditions de L'Homme Nouveau

Faisant de l’homme le sommet de la Création, le christianisme aurait largement contribué à la dévalorisation de la nature et permis son exploitation.

Et pourtant… L’industrialisation du monde n’est-elle pas contemporaine de sa déchristianisation ? Les diverses révolutions modernes n’ont-elles pas justement émancipé l’homme de son Créateur pour en faire le tyran de la Création ? Par-delà la modernisation, il est temps de renouer l’alliance avec la Création !

Replongeant dans le trésor inouï des grands auteurs chrétiens, de l’Évangile à nos jours, renouant avec l’intuition profonde de saint François d’Assise qui vénérait « sœur notre mère la terre », L’Écologie selon Jésus-Christ réhabilite l’approche chrétienne de la nature, empreinte d’émerveillement, de respect et de douceur.

Falk van Gaver, né en 1979, est journaliste et écrivain. Il a notamment publié Le Politique et le Sacré (Presses de la Renaissance, 2005) et Le Ciel sur la Terre (Tempora, 2007). Il réside actuellement en Palestine.