Le monde a besoin avant tout de saints, d’aventuriers de la charité, de missionnaires de l’amour ! Favorise-t-on suffisamment, dans nos familles et nos milieux, cette disponibilité au don de soi, qui devrait être la marque même de la jeunesse chrétienne ?

Comme le Tour de France des Compagnons, ou le Tour d’Europe dont rêvait Simone Weil dans L’Enracinement, la mission devrait être une obligation morale pour la jeunesse, alors que l’obligation du service militaire a disparu. Mission caritative, humanitaire, culturelle, économique, sociale, sanitaire, médicale, agricole, universitaire, religieuse… Coopération, solidarité internationale, engagement missionnaire, etc. … Que ce soit sur place, en France, en Europe, dans le monde, une année de mission devrait être une option fortement recommandée, voire obligatoire ou du moins fortement incitée, pour tous les jeunes gens, après le baccalauréat, une licence ou équivalent, bref dans ces précieuses années qui entourent la vingtaine. Une année de service, civil ou militaire. Une année missionnaire. Une année d’engagement gratuit au service des autres. En attendant que cette possibilité soit largement proposée à la jeunesse française (on peut toujours espérer !), les chrétiens doivent montrer l’exemple de cette éducation au don de soi. Que ce soit les familles, les paroisses, les écoles, leur rôle est aussi de contribuer largement à ce que la jeunesse catholique vive le don de soi comme une expérience formatrice et exemplaire. En coopération avec toutes les organisations caritatives et missionnaires qui existent et proposent des missions concrètes avec des statuts précis : bénévolat, volontariat, etc. On peut en citer quelques-unes pour la France, à titre d’exemples : Missions étrangères de Paris, Fidesco, Points Cœur, Enfants du Mékong, Secours catholique, Conférences Saint Vincent de Paul, Direction Catholique pour la Coopération, Caritas International, Secours Catholique, Ordre de Malte, Comité Catholique contre la Faim et pour la Coopération, Arche de Jean Vannier, Compagnons d’Emmaüs, etc. …, pour ne citer que les plus célèbres, la liste est loin d’être exhaustive, sans compter les innombrables associations et initiatives caritatives qui existent en France et de par le monde. Ce ne sont pas les besoins qui manquent !

On peut se plaindre que certaines de ces associations citées en soit venues, à certaines phases de leur histoire, à se laïciser parfois à outrance, jusqu'à perdre le sens profond de leur action, la motivation qui doit être la brûlante charité de Dieu : mais de quelle légitimité critique-t-on cela si la jeunesse chrétienne ne montre pas l’exemple d’une mobilisation généreuse pour la charité ? Et le fera-t-elle, si elle n’est pas éduquée à cela ? Nous ne parlons pas ici de bons sentiments ni de vœux pieux, mais de dispositions spirituelles et morales, ainsi que concrètes, permettant à la jeunesse de se trouver dans le don de soi. De même que certains déplorent la chute de la quantité (et de la qualité, pour les esprits les plus chagrins) des vocations religieuses, sans prendre pour autant aucune mesure réelle pour favoriser l’éclosion de ces vocations religieuses au sein de leurs familles, entretenant un état d’esprit mondain ou implicitement la réussite sociale passe avant le reste, de même on ne peut pleurer sur la désaffection croissante de nos contemporains à l’égard de la foi et de l’Eglise si on ne prend pas des dispositions concrètes en faveur d’un engagement renouvelé pour la charité, la mission caritative et la charité missionnaire. Il ne sert a rien de prier pour les vocations religieuses et caritatives si l’on n’est pas soi-même disposé au don de soi, ou de ses proches…

Charité et mission sont intimement liées, la « nouvelle évangélisation » ne pourra être portée que par une « nouvelle charité ». Et il ne s’agit pas d’une « instrumentalisation » de la charité en vue de la mission, d’une utilisation de la bonté en faveur du prosélytisme, non, la charité n’est pas un moyen au service de l’Evangile, elle est l’Evangile incarné, réalisé, accompli. Dieu est charité. Son Messie, son Christ, son Fils Jésus a incarné et vécu cette charité, cet amour brûlant pour toute la Création, toute sa vie durant, qui ne fut que bonté et charité, depuis les premiers miracles – depuis son humble délicatesse, toute gratuite, lors des noces de Cana…- jusqu'à la croix ou il nous aima – et nous aime toujours ! – jusqu’au bout. La logique même des miracles, qui est une logique de gratuité et d’amour, et non de suppression magique ou même rationnelle de toute souffrance, toute injustice et toute faim dans le monde (projet éminemment moderne et antéchristique), ne pouvait mener que jusqu’au don total de lui-même dans sa Passion, ce qui le distingue d’un simple thaumaturge. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Et c’est ce don, le don de sa propre vie offerte en l’holocauste pour l’expiation du péché du monde, pour notre rédemption, qui donne vie à tous dans sa Résurrection, qui redonne vie à la Création tout entière, intimement renouvelée.

Il est vrai que certaines organisations caritatives catholiques, devant la carence de candidats chrétiens, engagent toutes les personnes de bonne volonté – courant ainsi le risque de la dilution de la motivation centrale de leur action, qui est le Cœur de Dieu brûlant d’amour. Mais, même si on peut critiquer cette tendance, elle pointe notre responsabilité en la matière. Pas celle du voisin, non, mais celle de chacun d’entre nous. Favorisons-nous, dans nos milieux, dans nos familles, le goût d’un engagement concret au service de l’autre ? D’une charité, d’une générosité, d’une audace toute évangéliques ? Et, le cas échéant, en montrons-nous nous-mêmes l’exemple ? Ne donnons-nous pas la priorité aux objectifs mondains et matériels de l’éducation avant ses objectifs spirituels ? Ne trouvons-nous pas beaucoup d’excuses toutes plus raisonnables et rationnelles les unes que les autres pour tergiverser et temporiser quant à la nécessité du don de soi ? Chacun est appelé en la matière à un honnête et franc examen de conscience et surtout à une prompte et concrète conversion. « Si tu veux aider les pauvres, pourquoi aller au bout du monde, alors qu’il y a des clochards dans la rue ?... » Oh, cette phrase cent fois entendue et toujours de la bouche de gens qui ne font à peu près rien pour les pauvres, leurs prochains ! Alors que l’on n’entendra jamais rien de tel dans la bouche de tous ceux qui font vraiment oeuvre, sur place, de charité envers les miséreux…

Dans cette promotion de la mission dans la jeunesse chrétienne, de l’engagement caritatif et missionnaire qui doit être l’œuvre des familles et des paroisses, l’enseignement catholique a un rôle particulier à jouer, et ce depuis l’école jusqu'à l’université. Ce devrait être, avec les aumôneries, le lieu ou soit sans cesse formée la jeunesse à l’aspect vicarial et diaconal de l’existence - la vie est amour et l’amour est service -, le lieu ou soient sans cesse proposées des possibilités concrètes de missions – que ce soit d’un été, d’une année ou davantage… Une année de service devrait être le complément naturel de toute formation universitaire ou professionnelle. La France, fille aînée de l’Eglise, mère des missions, éducatrice des peuples, ne devrait pas laisser sa jeunesse s’avachir dans le confort, la paresse, l’égoïsme et l’absence d’idéal – qui est aussi absence d’espoir. Elle devrait rayonner, sur son territoire et dans le monde entier, de missionnaires de la charité et de serviteurs de la justice. Le rôle de l’Eglise est crucial – et notamment le rôle des aumôneries et de l’enseignement catholique. Il est temps que ce dernier se réveille et prenne conscience que sa mission n’est pas d’être un concurrent efficace de l’éducation nationale – avec, éventuellement, un petit supplément d’âme – mais d’être avec les familles le lieu d’une éducation proprement chrétienne qui implique le don de soi et l’esprit de service. Sa mission n’est pas tant d’obtenir de bons pourcentages de réussite aux examens que de former des jeunes gens prêts à donner leur vie pour leur prochain – ou du moins de susciter cette disposition intérieure.

La mission, la charité, proche ou lointaine, est toujours arrachement de soi, de son confort, de ses habitudes, elle est une expérience forte qui fait grandir et mûrir. Elle forge la jeunesse. Elle propose un idéal concret à vivre immédiatement. Elle répond à la soif d’absolu de la jeunesse qui si souvent tourne en funestes mésaventures. Elle lutte contre l’avachissement, la tiédeur, la lâcheté et l’indifférence, l’endurcissement et l’alourdissement des cœurs. Elle évite les dérivatifs néfastes de la drogue et autres aliénations, tout comme la vain militantisme du ressentiment, qui critique tout et ne construit rien, qui a les mains propres parce qu’il n’a pas de mains. Elle éduque à la vertu, au courage, à la générosité. Elle lutte contre le vice, le désespoir, l’absurde. La mission n’est certes pas la pierre philosophale, le miracle assuré. Mais elle entraîne au bien, elle met sur la voie de l’amour.

La jeunesse est en attente d’idéal, elle est en attente d’exemples à suivre, de maîtres à écouter, de saints auxquels se vouer. Ne trouvant que le vide et le vice, elle se voue au néant et va au diable. L’exemple fort de jeunes chrétiens se donnant joyeusement dans la mission et le service peut lui redonner le goût du bien, de la joie. « Dieu aime celui qui donne joyeusement… » Et même s’il n’en vient que quelques-uns, beaucoup de bien aura été fait ! L’élan généreux qui a porté à travers les siècles apôtres, croisés, missionnaires, colons, peut renaître et doit renaître, sous des formes renouvelées, dans la jeunesse chrétienne. « C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le mode a température normale ; si la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents… », disait Georges Bernanos. Sel de la terre, levain dans la pâte, lumière du monde, la jeunesse catholique doit incarner, dans l'aventure de la charité, la vive flamme d’amour qui donne vie au monde !