On ne se refait pas. Un écrivain-voyageur s’appelle un travel-writer en anglais, et ce n’est pas tout à fait la même chose qu’en français. Car, comme le mythique Bruce Chatwin ou l’excellent Patrick French de Tibet, Tibet (dans la même collection), ces auteurs britanniques sont à la fois de grands écrivains – et de vrais voyageurs. Rory Stewart rentre d’entrée de jeu dans la cour des grands. Ancien militaire et diplomate, spécialiste de l’Orient au Foreign Office, il quitte son Ecosse natale à l’orée des années 2000 pour effectuer un grand voyage de deux ans à pied de la Perse à l’Himalaya.

Quand il traverse l’Afghanistan, les talibans viennent de tomber il y a quelques semaines à peine. En marchant seulement, sans équipement particulier, à la merci de l’hospitalité variable des divers peuples afghans, Stewart traverse dans le dénuement et le danger un pays brutal, livré au chaos, aux bandes armées et aux seigneurs de guerre. Il souffre vraiment de froid et de faim, de dysenterie, risque sa vie, tout cela avec une honnêteté scrupuleuse et des descriptions minutieuses qui lui fait honneur et qui font honte à la race des écrivains du voyage. « Contrairement à la plupart des écrivains voyageurs, il est honnête », dit-il lui-même de l’empereur et écrivain Babur sur les pas duquel il marche à exactement cinq siècles de distance. L’éloge lui revient. Il relie Kandahar à Kaboul par le vieux chemin des montagnes, accompagné d’un antique dogue de Ghor qu’il adopte en cours de route. Au passage, il découvre la capitale perdue du royaume de Ghoride, la Montagne de Turquoise, que gouvernait jusqu'à Gengis Khan le Roi des Montagnes, ville deux fois perdue puisque livrée par ses découvreurs au pillage de l’archéologie sauvage.

Sociétés tribales, claniques et féodales, laminées par un quart de siècle de guerres civiles et meurtrières, de famines aussi, de vendettas et de corruption. Kalachnikovs et châteaux-forts de terre, misère et missiles Stinger. Mollahs, Hazaras, talibans, burqas, la mort omniprésente, un pays ravagé où les femmes sont invisibles, dans « une société qui était un imprévisible amalgame d’étiquette, d’humour et d’extrême brutalité ». Et puis, au milieu de tout ça, parsemant le récit comme des perce-neiges, des miracles de gentillesse et de délicatesse – qui rachètent tout le reste.

Rory Stewart, En Afghanistan, Latitudes / Albin Michel, 2009