"J'ai déclaré la paix aux créatures de Dieu

Jamais je n'ai appelé à la guerre contre elles

Mais j'ai pris les armes contre mon ego

Sans négocier avec lui le moindre cessez-le-feu"

Kharraqâni

Bush, Sharon, Arafat, Hussein, Chirac, Ben Laden… Des peuples, des nations, des religions réduites à leurs tyrans et à leurs caricatures… Et nous, dans tout ça, pantins militants de telle ou telle cause, petits soldats dociles des uns et des autres… Et si on s'arrêtait un peu ? Et si on s'y arrêtait un peu ? On est aujourd'hui contre Bush et Sharon comme on était hier contre Le Pen ou Ben Laden et avant-hier encore contre Hussein. C'est assez exaspérant, comme ce soutien épidermique à la cause palestinienne – soutien qui constitue bien plus un signe de reconnaissance qu'un engagement – qui agace même nos tendances naturelles à compatir et à prendre le parti de l'opprimé.

La rédaction des Provinciales, emmenée par Olivier Véron, en a pris son parti, et joint depuis quelques années à sa réflexion sur la judéité un soutien complet au sionisme. En publiant notamment une incisive plaidoirie de l'agent sioniste Michaël Bar-Zvi (Michel Herzslikowicz) qui passe au crible notre conditionnement pro-palestinien. Il est toujours bon de rappeler quelques vérités utiles, utiles justement à sortir de l'utilisation instrumentale de la vérité sans cesse réalisée par chaque camp. Et la première de ces vérités est la suivante : que refuser l'existence d'Israël – c'est ce que signifie, rappelons-le, l'antisionisme, qui ne se réduit pas à une opposition à la politique de M. Ariel Sharon, comme le sionisme ne se résume pas à la politique de ce dernier – revient à délégitimer la reconnaissance d'un Etat palestinien : car ce dernier n'a jamais existé, et n'est légitimé, comme Israël, que par les résolutions des Nations-Unies qui proclament conjointement l'existence des Etats israëlien et palestinien. Aussi, refuser l'un c'est nier l'autre, et inversement. Voilà pourquoi, si on veut soutenir la création d'une Palestine libre, il faut d'abord être sioniste, ce que l'on a, il est vrai, moins tendance à rappeler que l'inverse, non moins juste : que pour légitimer internationalement Israël, encore faut-il accepter un Etat palestinien.

Notre sionisme cependant, n'est pas tout à fait celui de nos amis des Provinciales. Notre sionisme est messianique : il affirme dans le Christ la catholicité, l'universalité des enfants d'Israël. Et, s'il assume la violence, c'est en ce sens : si le Royaume appartient aux violents, c'est à ceux qui se font violence – aux prophètes et aux saints, et non aux héros bardés de cuir et d'acier ni aux tueurs auréolés de poudre. Si nous prenons le Royaume par le fer et le feu, c'est par le fer du jeûne et le feu de la prière. Nous nous battons pour Jérusalem, certes – mais la céleste ! L'Apôtre seul accomplit les attentes du Zélote : Saül-Paul, sur le chemin de Damas, ne s'est pas tant renié que retrouvé. Le seul Jihad pour nous acceptable est le Grand Jihad, le bon combat de l'amour, l'infinie miséricorde auquel nous convie Fabrice Hadjadj dans une livraison magnifique des Provinciales.

A quoi sert de créer un nouvel Etat, fut-il Israël, fut-il Palestine, si c'est pour y perpétuer et y reproduire les structures d'aliénation, de péché et d'injustice de tous les Etats modernes ou modernisés ? Là est d'ailleurs la contradiction de l'Israël laïque, d'une identité juive laïcisée, conçue comme coupée de Dieu. Là éclate la fiction d'un sionisme séculier. Car si Israël est signe de contradiction, il l'est d'abord pour lui-même. Les seuls conséquents, les seuls cohérents sont peut-être les Juifs religieux (à ne pas réduire aux réputés "orthodoxes" et "ultra-orthodoxes") – car que signifie : être juif, si ce n'est : être religieux ? Et puis, à Maurice G. Dantec qui étale désormais ses fantasmes atlantistes dans les Provinciales, rappelons l'évidence : que George Walker Bush n'est pas Godefroi de Bouillon ni Saint Louis, et qu'Ariel Sharon n'a rien d'un David ni d'un Salomon.

La priorité pour Erets Israël est d'être la terre où réaliser les promesses prophétiques du Royaume – Malkhout Israël : justice et paix. Israël n'est-il pas en train de commettre encore l'erreur zélote ? Car s'il n'y arrive pas, comme il a échoué il y a vingt siècles, son zélotisme risque fort de se finir dans quelque nouvelle Massada. Avant qu'il ne soit trop tard, il faut revenir à la source, à l'origine, à la racine, à l'élection même : ce premier commandement qui est l'écoute : "Shema, Israël…" Ecoute, Israël, écoute, par delà le bruit des armes et le fracas des bombes, écoute, Israël, écoute, par delà les cris des blessés et le silence des tués, écoute le Seigneur ton Dieu, écoute le Roi de Justice, écoute, Israël, écoute le Prince de la Paix. Tout sacrifice ne trouve pas grâce devant Dieu, ni holocaustes, ni sanglantes oblations, mais un coeur contrit, un esprit repentant.

(2003)

Michaël Bar-Zvi, Claude Franck, Le Sionisme, Les Provinciales / L'Inventaire

Fabrice Hadjadj, Pour le Grand Jihad, 2 décembre 2001, in Les Provinciales, 38510 Saint-Victor-de-Mor