Il semble que, devant le procès de massification technique en train sous nos yeux, l’ordre du spirituel aurait, lui avant tout, son rôle à jouer en une affaire qui intéresse si gravement l’humanité. A ce point de vue, et du moins pour le moment, le prospect n’est, à parler franc, guère rassurant. En employant des moyens de masse les chrétiens obtiendront sans doute un certain nombre de résultats immédiats de nature à réjouir leurs pasteurs ; mais recourir de préférence et sur une grande échelle, fût-ce pour les fins les plus élevées et avec les intentions les plus pures, à ce qui relève de l’empire de la technique, c’est contribuer du même coup à fortifier cet empire, avec toutes les menaces dont il regorge à présent, et (pour autant qu’on lui donne prise sur des choses qui, de soi, relèvent du spirituel lui-même) dans ce qu’il a de plus redoutable : ce qui rend le résultat final plutôt douteux.

Si l’on tient compte de toutes les considérations précédentes, il apparaît clairement, me semble-t-il, que c’est plus que jamais l’affaire des petites équipes et des petits troupeaux de se battre le plus efficacement pour l’homme et pour l’esprit, et, en particulier, de rendre le plus efficace témoignage aux vérités auxquelles les gens aspirent désespérément, et dont ils sont, à l’heure présente, dans une jolie disette. Car c’est seulement de petites équipes et de petits troupeaux qui peuvent se réunir autour d’une chose qui échappe complètement à la technique et au processus de massification, et qui est l’amour de la sagesse et de l’intelligence, et la confiance en le rayonnement invisible de cet amour.

Jacques Maritain. Le Paysan de la Garonne. Desclée De Brouwer, 1966.