La liberté du chrétien a sa racine dans la liberté de Dieu. C’est cette liberté de Dieu qu’en Jésus-Christ les juifs ne pouvaient pas supporter. Ecce Homo vorax et potator vini (voici l’homme glouton et amateur de vin- Mt 11, 9). Il mangeait chez les publicains, il guérissait le jour du sabbat, il maudissait les riches, il évangélisait les pauvres, il marchait sur les eaux. Le chrétien doit être partout ; et rester partout libre.

Pourquoi ne pas déclarer ici le conflit intérieur qui, à mon sens, fait obstacle à beaucoup d’efforts généreux pour l’expansion du royaume de Dieu - L’instinct social ou sociologique, qui est du monde, l’instinct de la collectivité terrestre, prétend constituer les chrétiens en un monde clos - je dis dans l’ordre temporel lui-même, dans l’ordre de la civilisation- en une forteresse bâtie de main d’homme derrière les murailles de laquelle tous les bons seraient rassemblés, pour lutter de là contre tous les méchants qui l’assiégent – L’instinct spirituel, qui est de Dieu, demande aux chrétiens de se disperser dans le monde que Dieu à fait, pour y porter le témoignage et pour le vivifier.

Jacques Maritain. Lettre sur L’indépendance. Desclée De Brouwer, 1935.